Organisé pour la deuxième
année consécutive par la commission Innovation du barreau de Lyon, le concours de
l’innovation, tenu mi-avril, a récompensé quatre projets de legaltech parmi les
douze présélectionnés. Des créations encore naissantes pour certaines, sur le
point d’aboutir pour d’autres, portant les espoirs de leurs auteurs à révolutionner
le monde du droit. Zoom sur ce quatuor de lauréats.
À l’occasion de cette
deuxième édition, près de 30 dossiers portant sur la relation avocat-client,
les process internes, ainsi que l’engagement sociétal ont été reçus. À l’issue d’un
processus de sélection rigoureux, quatre projets se sont démarqués.
Nemitis : l’outil
numérique au service des avocats indépendants
Couronné du premier prix,
Nemitis se présente comme une « solution clés en main », spécifiquement
conçue pour les avocats exerçant à leur compte. Imaginé par Lucas Beyet et développé
par son associé Florian Pascouau, ce logiciel de gestion administrative offre,
sur une seule et même interface, une vue d’ensemble des données relatives à
l’activité du professionnel, regroupant les notes, courriels, dossiers, échéances,
factures et heures travaillées. Il permet également de gérer en quelques clics la
facturation, avec des indicateurs financiers et le suivi d’encaissement
automatisé. « Notre
objectif était de simplifier le quotidien des indépendants en centralisant
toutes leurs données, leur permettant ainsi de visualiser rapidement
l'avancement de leur travail et de gagner en efficacité et en confort dans leur
pratique », explique l’entrepreneur lyonnais, anciennement auditeur
à l’Inspection générale bancaire.
Après avoir consulté une
centaine d’avocats, Lucas Beyet a remarqué qu’il existait de nombreux logiciels
pour les cabinets d’avocat, mais qu’aucun n’était adapté aux travailleurs individuels.
« Ces solutions techniques sont très complexes à appréhender et les
indépendants n’utilisent que 30 % de leurs fonctionnalités, tout en payant le
prix fort », souligne-t-il. Faute de mieux, les avocats préféreraient même
se tourner vers Word et Excel. Une problématique que Nemitis vise à résoudre.
Enfin, une autre spécificité
de la start-up, et non des moindres, est la possibilité d’incorporer au
logiciel des modèles personnalisés des actes et convention d’honoraires des
utilisateurs avec lesquels ils travaillent actuellement. Les prochains
documents seront alors générés automatiquement avec le nom et les coordonnées
des clients.
Vers une application mobile
Interrogé sur la sécurité des
données, une préoccupation majeure pour ce type d’outil, l’entrepreneur se veut
rassurant. « Nous savons que c’est un facteur clé de notre succès. C'est pourquoi nous avons choisi
d'héberger les données en France et de garantir aux utilisateurs la propriété
de leurs informations en connectant uniquement leur cloud au logiciel. Aussi,
les documents resteront chez eux le jour où ils cesseront d'utiliser Nemitis ».
Lancée
il y a un an, la start-up compte aujourd’hui près d’une cinquantaine d'abonnés.
À savoir qu’un tiers des avocats exercent en individuel parmi les 70 000
professionnels répartis en France, selon le Conseil national des barreaux. Des
débuts prometteurs pour cet outil numérique qui sera bientôt complété par une
application mobile.

De gauche à droite Valentin Petitclerc, Chloé
Vincent-Hytier et Bertrand Moutte, François Gorriez, Lucas Beyet
Lawxer associe l’intelligence
artificiel à l’analyse de contrat
« Nous sommes en
quelque sorte le Yuka du droit », synthétise avec humour François
Gorriez, fondateur du logiciel Lawxer et avocat spécialisé en droit du
numérique. Récompensée du second prix, cette start-up déploie une intelligence
artificielle (IA) qui a pour mission, à la manière de l’application
nutritionnelle, de fournir un « juriscore » aux contrats en évaluant
leurs risques, puis d’apporter des suggestions personnalisées afin d’améliorer
la rédaction et de protéger les intérêts des clients. « Dans toutes les
matières du droit, les contrats se complexifient et la réglementation ne cesse
d’évoluer. Il devient alors ardu pour un avocat, un directeur juridique ou un
particulier de saisir pleinement la conformité et les enjeux juridiques »,
constate l’entrepreneur.
À ce titre, Lawxer répond à
ce défi en misant sur l’intelligence artificielle. Le processus est simple : l'utilisateur achète des crédits
d'analyse qui lui permettent d'évaluer un document en fonction de son poids et
de son nombre de pages. En moins de dix minutes, après avoir analysé le contrat
et les risques associés, le logiciel propose une série de modèles pour
perfectionner la rédaction, en s'appuyant sur les dernières jurisprudences
pertinentes.
Une intelligence artificielle
explicative
Pour développer cette
technologie, François Gorriez s’est entouré d’un spécialiste en linguistique et
informatique, puis s’est attelé à enrichir son outil. « Il a fallu
configurer la machine par type de contrat (vente, travail, bail, etc…) afin
qu’elles apportent des solutions adaptées et précises ». Un travail de
fond, mis à jour au gré des réglementations, qui s’inscrit dans un effort
d’explicabilité du raisonnement. « Nous avions la volonté de créer une
IA transparente et explicative, non une boîte noire », insiste-t-il.
« L’objectif étant de permettre aux professionnels de gagner du temps
sur ces tâches et de concentrer leurs efforts sur des sujets à forte valeur
ajoutée ».
Incubé dès son lancement par
le barreau de Paris, il y a plus d’un an, Lawxer se défend également d’inclure
les questions de déontologie qui structurent la profession d’avocat. « Le
logiciel n’a pas vocation à entrer en contradiction avec les règles du métier,
ni de remplacer l’avocat, mais plutôt de lui apporter un soutien dans son activité
au quotidien ». Aujourd’hui en phase de recherche et développement, Lawxer
vise une commercialisation avant cet été, suivie à terme du lancement d’une application
mobile.
Avocappli réinvente la
relation avocat-client
Installée à la troisième
place du podium, l’application mobile Avocappli aspire à révolutionner la
relation avocat-client en offrant une information simplifiée, visible et
numérique. À l’initiative du projet : Chloé Vincent-Hytier,
avocate-praticienne en droit de la construction et de l’immobilier, et Bertrand
Moutte, avocat en droit public des affaires et droit immobilier, présentent une
application conçue pour fluidifier la communication des professionnels du
droit.
« L’objectif est de permettre au client d’accéder de manière
sécurisée et permanente à l’ensemble des informations de son dossier en les
centralisant sur une seule interface (documents, actes, état d’avancement,
factures, honoraires payés ou non, échéances et rendez-vous à venir) »,
détaillent-ils. Pensée pour être claire et explicative, l’application se veut intuitive
et simple d’utilisation, de sorte à devenir un outil réflexe pour l’utilisateur.
« La vocation d’Avocappli est d’offrir aux clients un suivi du dossier
et des réponses à leurs questions, sans nécessairement contacter l’avocat ».
Concilier les contraintes de
communication
Cette
approche répond à un besoin manifeste, mis en lumière par des enquêtes récentes
publiées par le Conseil national des barreaux, selon lesquelles l’un
des vecteurs d’insatisfaction des clients serait la difficulté pour échanger
avec un avocat et obtenir des informations sur l’évolution de leur affaire. Alors
même qu’en moyenne, un client relancerait leur avocat toutes les deux semaines,
faute de réponse. À l’inverse, du
côté des robes noires, répondre à ces demandes d'informations basiques
monopolise souvent un temps précieux, au détriment d'analyses approfondies et
d'activités à forte valeur ajoutée.
« Avocappli est alors susceptible
de concilier ces contraintes en
rassurant les clients, tout en libérant du temps pour les avocats », concluent les entrepreneurs
lyonnais. Actuellement en phase de
développement depuis son lancement en octobre dernier, l'application s'attèle à
atteindre ses prochains objectifs, notamment en garantissant une sécurité
optimale des données soumises au secret professionnel. « C’est une
crainte formulée par les confrères. Nous travaillons sur la technique pour
créer des ponts ultra sécurisés entre les logiciels métiers des avocats et
l’application. Cela nécessite une vigilance particulière ».
Hello Justice : la
plateforme de financement des litiges pour les TPE / PME
Start-ups, TPE et PME ne sont
pas logées à la même enseigne que les autres entreprises pour défendre leurs intérêts
jusque devant un tribunal. Confrontées à des litiges, en matière notamment de
propriété intellectuelle ou de concurrence, ces petites structures peuvent
renoncer à mener des actions en justice par crainte de mettre en péril leur
trésorerie. De ce constat, Valentin Petitclerc a imaginé Hello Justice, une
plateforme de financement des litiges pour les petites et moyennes entreprises.
Récompensée lors du concours du prix spécial Banque Populaire
Auvergne-Rhône-Alpes, cette solution « offre à toute entreprise
ne disposant pas de la capacité financière pour faire face aux coûts d’une
procédure de les financer par le biais d’investisseurs, avec la perspective de
bénéfices potentiels », précise le jeune entrepreneur de 27 ans, aujourd’hui
à la tête d’une société de conseil en stratégie et d’une agence de mise
en relation entre freelances et entreprises. À l’issue de la procédure en cas de succès, l’argent
est réparti entre les parties prenantes. Le client, déjà gagnant sur le plan
juridique, récupère une part des gains. L'investisseur retrouve son investissement initial ainsi
qu'un potentiel retour sur investissement variable selon l'issue de l'affaire.
En ce qui concerne Hello Justice, la plateforme perçoit un pourcentage
actuellement estimé à environ 20 %, mais sujet à modification.
Une solution sous conditions
Toutefois, des critères s’imposent aux entreprises
souhaitant bénéficier de l’outil, rappelle Valentin Leclerc. « Les
cabinets d’avocats partenaires de Hello Justice seront prescripteurs de la
solution et définiront les critères de recevabilité des dossiers. Pour qu’un
financement soit envisageable, l’avocat procède à une pré-évaluation des
chances de succès du litige ». Malgré
ce processus, l'entrepreneur se montre prudent. « Tout investissement
comporte des risques, la justice peut être imprévisible ».
Alors qu'en 2022, selon une étude de Burford
Capital, le financement de contentieux représentait plus de 900 milliards de
dollars à l'échelle mondiale, et plus de 2 000 milliards de dollars de demandes
d'arbitrage, Hello Justice devrait voir le jour en fin d'année dans ce marché
fructueux, largement dominé par les Anglo-Saxons.
Enzo Maisonnat