DROIT

Consentement dans la définition pénale du viol : une « belle idée mais un pétard mouillé » pour « faire diversion » ?

Consentement dans la définition pénale du viol : une « belle idée mais un pétard mouillé » pour « faire diversion » ?
Publié le 25/04/2025 à 08:55

L’introduction dans le Code pénal de la notion de consentement, votée en première lecture par l’Assemblée nationale le 1er avril, doit bientôt être examinée par le Sénat. Mais le débat divise associations et praticiens du droit. Selon Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme, membre de la commission violence du Haut Conseil à l’Egalité, et Elise Arfi, avocate pénaliste, ancienne membre du Conseil de l’ordre du barreau de Paris, la proposition de loi « met sous le tapis la principale difficulté : le manque de moyens ».

Portée par les députées Marie-Charlotte Garin (Ecologiste et Social) et Véronique Riotton (Ensemble pour la République), la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles a été votée en première lecture par l’Assemblée nationale le 1er avril. En mai, ce sera au Sénat de se prononcer.

Fruit d’un an de réflexions et d’une centaine de consultations, le texte propose que le viol soit défini par l’absence de consentement, et non uniquement par « violence, contrainte, menace ou surprise ». Cela signifie que ce n’est plus la résistance de la victime qu’il faudra prouver, mais l’absence de son accord. Ce sera à l’accusé de faire valoir qu’il a recueilli le consentement de la personne, qui doit être « libre, éclairé, préalable, révocable et spécifique ».

Bien que le Rassemblement national et l’Union de la droite républicaine d’Eric Ciotti s’y soient opposés, le texte a reçu le soutien transpartisan de la majorité des députés. La proposition de loi a également obtenu le feu vert du Conseil d’Etat et s’est appuyée sur la proposition de rédaction du Conseil de l’ordre du barreau de Paris.

Pourtant, certaines associations féministes se sont montrées critiques. Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, dénonce un « déplacement de centre de gravité du crime » et réfute l’utilisation du terme « non-consenti  » auquel elle privilégie celui d’«imposé ». Au cœur des débats actuels sur la réforme pénale du viol, on retrouve la notion de consentement qui l’était déjà en 1978 lors du procès fondateur d’Aix-en-Provence.

JSS : Les deux députées à l’origine de la loi sont parties du constat suivant : « La loi actuelle ne protège pas suffisamment et ne punit pas suffisamment. » Le partagez-vous ?

Céline Piques : Après #MeToo, on a dit aux femmes, « parlez, portez plainte ». Depuis 2016, il y a eu un triplement du nombre de plaintes. En 2016, 7 000 plaintes pour viol étaient déposées, 22 000 en 2022. Par contre, le nombre de condamnations est stable. Cela reflète une embolie judiciaire : la justice ne dispose pas des moyens nécessaires pour traiter cette hausse. Ce qui se traduit par des classements sans suite.

Elise Arfi : Il ne faut pas oublier que le viol est un crime. Cela veut dire que s'il n'y a pas de classement sans suite au stade des premières investigations, le dossier sera obligatoirement traité par un juge d'instruction et la personne mise en cause pourra utiliser des moyens de défense à sa disposition. Mais je ne suis pas sûre que cette loi réponde au trop grand nombre de classements par rapport au nombre de plaintes.

JSS : Est-ce que la définition pénale du viol encore en vigueur aujourd’hui alimente la culture du viol ?

C.P. : La définition actuelle ne parle pas de consentement, qui obligerait effectivement à interroger la victime. Dans l'histoire du viol, jusqu'en 1980, l’arrêt Dubas de 1857 le définissait en mentionnant l’absence de consentement et agir contre la volonté de la victime.

Dans sa plaidoirie lors du procès d’Aix-en-Provence en 1978, Gisèle Halimi avait déclaré : « Ce procès, (…) c’est la discussion autour de la fameuse thèse du consentement. À peu près 99 fois sur 100, quand une femme est violée, il n'y a pas de témoin. Et par conséquent, 99 fois sur 100, les violeurs concluent “Oui, mais à ce moment-là, elles ont été consentantes”. Le drame de cette attitude, c'est qu'on le veuille ou non, nous sommes acculées, nous plaignantes, à devenir accusées, à essayer de vous démontrer que non nous n'avons pas consenti. » Deux ans plus tard, la notion de consentement était retirée du projet de loi.

Malheureusement, on continue d’interroger le passé sexuel de la plaignante, sa tenue, tout un tas de biais sexistes dans les commissariats, l’instruction ou la stratégie de défense. C’est contraire à la loi caractérisant le viol uniquement par la coercition, c'est-à-dire par les actes des agresseurs.

E.A. : Ce n’est pas la définition pénale actuelle qui encourage la culture du viol mais le sexisme ambiant. Au contraire, la justice doit être un rempart. L’introduction de la notion de consentement est censée limiter la culture du viol en le mettant au premier plan avant même de s'intéresser à l'élément moral de l'infraction. Lequel est à rechercher chez la personne qui est accusée des faits.

Cette loi peut contribuer à changer les mentalités parce qu’elle introduit une vraie inversion.  Là où les articles 222-23 du Code pénal étaient axés sur l'auteur des faits, le nouveau texte mettra la focale sur la victime des faits. Désormais, il faudra commencer par demander au plaignant ou à la plaignante si il ou elle a consenti.

JSS : Est-ce que cela ne peut pas, au contraire, engendrer des effets négatifs ?

C.P. : Il est dangereux de centrer les débats autour du consentement de la plaignante au lieu d’aller chercher la stratégie coercitive de l'agresseur. Je vois deux écueils très clairs. Le premier concerne le viol conjugal, massif et largement impuni aujourd’hui. Aujourd’hui, quand une femme victime de violence conjugale pourrait poursuivre pour violences physiques et violences sexuelles, elle s'arrête souvent aux violences physiques. On lui dit « vous avez plus de chances d'aller jusqu'au bout de la procédure comme ça ».

Résultat, très peu de viols conjugaux sont jugés aujourd'hui. Dans un environnement coercitif, la victime peut céder voire consentir face à un conjoint violent par peur ou parce que ses enfants sont de l’autre côté du mur. Mais c’est un consentement qui est profondément vicié. En audience, l’agresseur va dire qu’elle était consentante et même montrer des preuves : elle m'a suivi, elle ne s'est pas débattue, elle a dit oui. Et puis de l'autre côté, l'environnement coercitif ne sera pas réellement recherché par le juge d'instruction.

Un autre cas absolument typique, celui de Gérald Darmanin. Avant même que le consentement soit dans la loi, le fait que le ministre avait pu croire que la plaignante était consentante a été acté par le juge d'instruction ayant prononcé le non-lieu, qui a indiqué que Gérald Darmanin avait « pu légitimement se méprendre sur les intentions de la plaignante, même si dans un SMS, il admet implicitement qu'il a pu profiter de la situation. »

Je pense qu’en introduisant le mot « consentement », on va multiplier ce type de cas où on peut avoir de façon concomitante un consentement qui est vicié et, de l'autre côté, une contrainte. Les deux vont être en tension et il va falloir que la victime explique pourquoi ce consentement qu'elle a pu même exprimer est vicié au regard des circonstances environnantes. Le consentement n'a pas de sens dès lors que ceux dont il émane n'ont pas d'autre choix possible.

JSS : Dans leur rapport, les deux députées insistent sur le fait que l’infraction pour viol serait « insuffisamment caractérisée ». En quoi la définition pénale actuelle était-elle insuffisante ?

C.P. : Je suis étonnée par les conclusions du rapport de Riotton-Garin qui dit qu’aujourd'hui, la définition légale du viol ne couvre pas un certain nombre de cas. L’état de sidération a, par exemple, été acté par la Cour de cassation dès 2012. Pour la soumission chimique, la caractérisation de la surprise est retenue en cas de victime qui est inconsciente, ivre ou endormie et on l’a vu pendant le procès Mazan.

L’argument selon lequel la loi actuelle ne couvrirait pas tout est beaucoup réfuté. Trois instances ont essayé de nous alerter sur cette analyse. Le Conseil national des barreaux précise que « la menace, la contrainte ou la surprise sont capables d'englober toutes les situations de défaut de consentement ». Le Syndicat de la magistrature décrit, lui : « Nonobstant les représentations genrées et stéréotypées susceptibles d'orienter l'appréciation que font les magistrats des éléments de preuve et leurs décisions, le texte lui-même ouvre aux interprétations potentiellement restrictives ou extensibles. »

Dernière institution, le Conseil d'État, dans son avis récemment paru, « relève que la jurisprudence illustre la malléabilité des notions de contrainte ou de menace et estime que la référence aux quatre termes existants suffit à couvrir complètement ces situations ».


« Le consentement n'a pas de sens dès lors que ceux dont il émane n'ont pas d'autre choix possible. »

- Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme, et Elise Arfi, avocate pénaliste (à g.)

C'est son application et la mobilisation de la richesse de la jurisprudence qui pose problème aujourd'hui. D’une part, les magistrats sont submergés par des dossiers trop nombreux. D’autre part, il y a un manque de formation qui fait qu'aujourd'hui, on préfère classer plutôt qu'aller réellement enquêter et aller caractériser en particulier la contrainte, qui est quand même une notion extrêmement large au vu de la jurisprudence.

E.A. : Je suis d’accord. Il y a un consensus pour dire que ce changement de loi advient pour parachever une conformité juridique entre tous les États de l'Union européenne, mais ça ne répond absolument pas à une nécessité ou à un angle mort qui empêcherait, dans la définition actuelle, d'appréhender toutes les situations.

On a eu une jurisprudence riche et depuis très longtemps prenant en compte la notion de consentement. Le Conseil de l'Ordre des avocats de Paris s’est dit : « Autant que ça se fasse avec nous plutôt qu'on nous impose une définition. » Au début de la rédaction du texte, sur le plan juridique, on a vu des choses impraticables et peut-être même dangereuses pour les victimes.

JSS : Cette notion de consentement est assez libre d’interprétation, est-ce que cela peut ouvrir la voie à des jugements potentiellement restrictifs ?

E.A. : La vérité judiciaire est toujours une vérité relative. Le juge ne peut pas sonder les âmes. Il a besoin d'éléments tangibles et c'est pour ça que dans la proposition de loi, il est fait recours à la notion des circonstances environnantes mais avec les risques de dire « écoutez, Madame, vous êtes allée boire un verre, donc vous étiez d'accord ? » Le juge ne peut se prononcer que sur des preuves.

C.P. : C'est très subjectif, et puis il faut sonder ce qui est dans la tête de la victime et ce que l'accusé a perçu de ce qui était dans la tête de victime parce qu'en fait il y a quand même l'élément intentionnel. C’est à double niveau. On s'engage pour moi sur un terrain extrêmement glissant par rapport au fait que la justice s'appuie sur des éléments matériels. Sinon, on arrive dans des procès « parole contre parole » qui sont des impasses.

JSS : Le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris a proposé une version du texte, quelle était-elle ?

E.A. : C’était une proposition proche de ce qui était préconisé par le Conseil d'État. On a essayé d'être très clair quant au fait que la loi ne pourra pas être exhaustive. On a proposé une définition qui précise qu’il n'y a pas de consentement « lorsque l'acte a été commis par violence contrainte, menace ou surprise ». On introduit la notion de consentement en la faisant déduire des éléments qui aujourd'hui définissent le viol. Il était aussi important de préciser que « le consentement comme l'absence de consentement peuvent résulter des circonstances environnantes ».

Dans la proposition de loi initiale, seule l’absence de consentement était présente. Nous voulions rééquilibrer, pour éviter que le débat soit uniquement limité à ce qu'on appelle l'examen des circonstances environnantes. On est obligé de se méfier, il y a aussi une préoccupation des praticiens d'une inversion de la charge de la preuve. Une des craintes du texte, c’est que cela aboutisse à compliquer la situation de la victime.

JSS : Vous l’avez dit, de nombreuses instances et professionnels du droit s’opposent à la proposition de loi transpartisane. Pourquoi est-elle soutenue collectivement par les parlementaires ?

C.P. : Cette loi part du présupposé de l’inéluctable. Le texte repose sur deux argumentaires : tous les cas ne sont pas couverts, mais ce n’est pas vrai, et la Convention d'Istanbul nous oblige, mais c’est réfuté par le Conseil d' Etat. Je me pose la question : pourquoi la maintenir à tout prix ?

E.A. : Tous les politiciens, les gardes des Sceaux, même le président Emmanuel Macron, sont favorables à l'introduction de la notion de consentement. Sans dire d'ailleurs comment. Il y a un consensus de toute la classe politique. La députée Riotton veut que dans les enquêtes, désormais, la première chose qui soit interrogée soit le consentement.

C’est un peu une tautologie. Imaginons la situation, la plaignante arrive au commissariat et dit  « j'ai été violée ». L’Officier de police judiciaire demande :  « Vous n’étiez pas consentante ? » Elle va répondre : « Non puisque j'ai été violée ! » C'est une belle idée qui sera en pratique un pétard mouillé.

C.P. : Je rappelle quand même que la grande cause du quinquennat d'Emmanuel Macron en 2017, c'était la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. En tant que porte-parole d’une association féministe, cela fait des années que je réclame plus de moyens : pour la justice, pour les interventions en milieu scolaire, pour les enquêtes, tout.

L’avantage d'une réforme législative, c'est qu’elle coûte zéro euros. Ça fait diversion et vous pouvez communiquer dessus le 8 mars ou le 25 novembre. Si derrière on ne met pas des moyens pour la justice, alors qu'on a un triplement du nombre de plaintes depuis 2016, on ne va pas y arriver.

Les parlementaires se trompent de sujet. C’est vraiment dommage de débattre depuis 18 mois sur une proposition de loi où on est sur un texte à visée interprétative, on est en train d'ancrer dans la définition quelques éléments jurisprudentiels, et à côté de ça, on ne parle pas du vrai problème, qui est un nombre de classements sans suite trop élevé, lequel résulte aussi du manque de moyens. Aujourd'hui, sur 158 000 personnes qui se déclarent victimes de viols, 15 % portent plainte environ, et à la fin il y a très peu de condamnations. La justice ne peut pas suivre.

JSS : Cette réforme ne serait-elle qu’un simple écran de fumée ?

E.A. : En effet, il y a des millions de plaintes en France, dans les commissariats. Ils n'ont pas les moyens, pas le temps. Les parquets aussi sont en sursaturation. J'ai quelques dossiers de victimes où on n'arrive pas à faire sortir les dossiers, ce sont des classements sans suite, alors qu'il n'y a eu aucune investigation menée.

Vous pouvez faire des recours, mais cela prend des années. Gisèle Pélicot est devenue le symbole, elle a eu un procès qui a duré des mois, et qui a été très médiatisé. Or, la plupart des victimes vont déposer leurs plaintes et elles n'en entendent plus jamais parler. Il faut se méfier des effets d'annonce qui prônent l’auto-satisfaction face à une réalité autre. 

On met en avant des changements législatifs alors qu'en fait, sur le plan judiciaire, on ne sait plus comment évacuer ce qu'on appelle les « stocks » parce que les délais ne sont pas tenables. La création des cours criminelles départementales a abouti à une embolie des cours d'assises d'appels. J'ai l'impression qu'on veut mettre en avant la notion de consentement pour mettre sous le tapis le manque de moyens, qui est la principale difficulté.

Propos recueillis par Marie-Agnès Laffougère

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