Les Sages ont estimé que cette
exclusion méconnaissait le principe d’égalité devant la justice, reconnu par la
Constitution. Une autre censure vise à prévoir les conditions dans lesquelles
un étranger visé par une procédure de vérification de droit de circulation ou
de séjour peut s’alimenter.
Le Conseil constitutionnel a
censuré, mardi 28 mai, une disposition datant de 1991 interdisant l’accès à
l’aide juridique aux personnes de nationalité étrangère ne vivant pas en
situation régulière en France. L’institution avait été saisie en mars dernier par
la Cour de cassation de trois questions prioritaires de constitutionnalité
(QPC) qui visaient l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide
juridique. Son deuxième alinéa disposait que cette aide pouvait être accordée
« aux personnes de nationalité étrangère résidant habituellement et
régulièrement en France », ne l’accordant donc pas aux étrangers
sans-papiers. Quelques exceptions étaient tout de même prévues pour les
étrangers mineurs, témoins assistés ou mis en examen, entre autres.
Les requérants dénonçaient
une disposition méconnaissant le principe d’égalité devant la justice et la loi,
car n’assurant pas aux étrangers en situation irrégulière des garanties égales
à celles dont bénéficient les autres justiciables pour agir en justice, et donc
instituant une différence de traitement injustifiée. Les demandeurs assuraient
également que cette différence faisait obstacle à la représentation des
étrangers en situation irrégulière par un avocat dans des contentieux pour
lesquels celui-ci est pourtant obligatoire.
Une règle qui instaure une inégalité
entre justiciables
Pour se prononcer, le Conseil
constitutionnel s’est basé sur la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789, qui dispose que la loi « doit être la même pour tous,
soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » et que « toute
société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la
séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». La
loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique précise également que les
personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes peuvent bénéficier
de cette aide.
Le Conseil constitutionnel a
rappelé que le législateur peut prévoir des règles de procédures différentes
selon les personnes, notamment en prenant en compte la régularité du séjour des
étrangers, mais « à la condition que ces différences ne procèdent pas
de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des
garanties égales, notamment quant au respect du droit d’agir en justice et des
droits de la défense ».
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Dans leur décision, les Sages
ont assuré qu’« en privant les étrangers ne résidant pas régulièrement
en France du bénéfice de l’aide juridictionnelle, les dispositions contestées
n’assurent pas à ces derniers des garanties égales à celles dont disposent les
autres justiciables », ce qui méconnait le principe d’égalité devant
la justice sacré par la Constitution.
Cette censure va
principalement bénéficier aux travailleurs sans papiers, a estimé sur X Nicolas
Hervieu, juriste en droit public et droit européen des droits de
l'homme, assurant que « de longue date, les étrangers en situation
irrégulière ont déjà accès [à l'aide juridictionnelle] devant les juges
administratifs ou pénaux, car le droit au procès équitable et au recours
l'exige ».
Une autre censure pour assurer
le respect « de la dignité de la personne humaine »
Le même jour, le Conseil
constitutionnel a également reconnu comme inconstitutionnelle une disposition
du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dont les
requérants reprochaient l’absence d’obligation pour la police de mentionner dans
le procès-verbal les conditions dans lesquelles un étranger peut s’alimenter
lors d’une procédure de vérification de droit de circulation ou de séjour.
« À défaut de prévoir une telle mention, les dispositions contestées ne
permettent pas aux autorités judiciaires de s’assurer que la privation de
liberté de l’étranger retenu s’est déroulée dans des conditions respectueuses
de la dignité de la personne humaine », ont estimé les Sages.
Cette abrogation n’est en
revanche pas effective instantanément, afin d’éviter de supprimer l’obligation
de faire figurer certaines mentions sur le procès-verbal, comme le jour et
l’heure de début et de fin de la retenue de l’étranger ou la prise d’empreintes
digitales ou de photographies. Des conséquences « manifestement
excessives », a jugé le Conseil constitutionnel, qui a ainsi reporté l’abrogation
au 1er juin 2025 et exclu les mesures prises avant la publication de
cette décision de toute contestation sur le fondement de cette
inconstitutionnalité.
Néanmoins, afin de faire
respecter sa décision de manière immédiate, la juridiction a expressément
indiqué que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi conforme à la
Constitution ou jusqu’à la date de l’abrogation, « l’officier de police
judiciaire ou l’agent de police judiciaire qui dresse le procès-verbal de fin
de retenue doit mentionner les conditions dans lesquelles l’étranger retenu a
pu s’alimenter ».
Alexis
Duvauchelle