DROIT

Le Conseil constitutionnel censure l’exclusion des étrangers en situation irrégulière de l’aide juridictionnelle

Le Conseil constitutionnel censure l’exclusion des étrangers en situation irrégulière de l’aide juridictionnelle
Publié le 30/05/2024 à 11:25

Les Sages ont estimé que cette exclusion méconnaissait le principe d’égalité devant la justice, reconnu par la Constitution. Une autre censure vise à prévoir les conditions dans lesquelles un étranger visé par une procédure de vérification de droit de circulation ou de séjour peut s’alimenter.

Le Conseil constitutionnel a censuré, mardi 28 mai, une disposition datant de 1991 interdisant l’accès à l’aide juridique aux personnes de nationalité étrangère ne vivant pas en situation régulière en France. L’institution avait été saisie en mars dernier par la Cour de cassation de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui visaient l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Son deuxième alinéa disposait que cette aide pouvait être accordée « aux personnes de nationalité étrangère résidant habituellement et régulièrement en France », ne l’accordant donc pas aux étrangers sans-papiers. Quelques exceptions étaient tout de même prévues pour les étrangers mineurs, témoins assistés ou mis en examen, entre autres.

Les requérants dénonçaient une disposition méconnaissant le principe d’égalité devant la justice et la loi, car n’assurant pas aux étrangers en situation irrégulière des garanties égales à celles dont bénéficient les autres justiciables pour agir en justice, et donc instituant une différence de traitement injustifiée. Les demandeurs assuraient également que cette différence faisait obstacle à la représentation des étrangers en situation irrégulière par un avocat dans des contentieux pour lesquels celui-ci est pourtant obligatoire.

Une règle qui instaure une inégalité entre justiciables

Pour se prononcer, le Conseil constitutionnel s’est basé sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » et que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». La loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique précise également que les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes peuvent bénéficier de cette aide.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que le législateur peut prévoir des règles de procédures différentes selon les personnes, notamment en prenant en compte la régularité du séjour des étrangers, mais « à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du droit d’agir en justice et des droits de la défense ».

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Dans leur décision, les Sages ont assuré qu’« en privant les étrangers ne résidant pas régulièrement en France du bénéfice de l’aide juridictionnelle, les dispositions contestées n’assurent pas à ces derniers des garanties égales à celles dont disposent les autres justiciables », ce qui méconnait le principe d’égalité devant la justice sacré par la Constitution.

Cette censure va principalement bénéficier aux travailleurs sans papiers, a estimé sur X Nicolas Hervieu, juriste en droit public et droit européen des droits de l'homme, assurant que « de longue date, les étrangers en situation irrégulière ont déjà accès [à l'aide juridictionnelle] devant les juges administratifs ou pénaux, car le droit au procès équitable et au recours l'exige ».

Une autre censure pour assurer le respect « de la dignité de la personne humaine »

Le même jour, le Conseil constitutionnel a également reconnu comme inconstitutionnelle une disposition du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dont les requérants reprochaient l’absence d’obligation pour la police de mentionner dans le procès-verbal les conditions dans lesquelles un étranger peut s’alimenter lors d’une procédure de vérification de droit de circulation ou de séjour. « À défaut de prévoir une telle mention, les dispositions contestées ne permettent pas aux autorités judiciaires de s’assurer que la privation de liberté de l’étranger retenu s’est déroulée dans des conditions respectueuses de la dignité de la personne humaine », ont estimé les Sages.

Cette abrogation n’est en revanche pas effective instantanément, afin d’éviter de supprimer l’obligation de faire figurer certaines mentions sur le procès-verbal, comme le jour et l’heure de début et de fin de la retenue de l’étranger ou la prise d’empreintes digitales ou de photographies. Des conséquences « manifestement excessives », a jugé le Conseil constitutionnel, qui a ainsi reporté l’abrogation au 1er juin 2025 et exclu les mesures prises avant la publication de cette décision de toute contestation sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Néanmoins, afin de faire respecter sa décision de manière immédiate, la juridiction a expressément indiqué que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi conforme à la Constitution ou jusqu’à la date de l’abrogation, « l’officier de police judiciaire ou l’agent de police judiciaire qui dresse le procès-verbal de fin de retenue doit mentionner les conditions dans lesquelles l’étranger retenu a pu s’alimenter ».

Alexis Duvauchelle

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