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(75) Procès en appel des Barjols : entre ultra-droite et Gilets jaunes, des projets fumeux

(75) Procès en appel des Barjols : entre ultra-droite et Gilets jaunes, des projets fumeux
Publié le 03/02/2025 à 11:28

CHRONIQUE. Fin 2018, la DGSI avait procédé à de premières arrestations parmi un groupuscule proche de l’extrême droite, les Barjols. Elle soupçonnait alors une tentative d’assassinat du président de la République. Après une condamnation en première instance de quatre d’entre eux, début 2023, le procès en appel s’est achevé ce mercredi 29 janvier, devant la Cour d’appel de Paris.

En cette fin de procès, c’est Sébastien A. qui est interrogé par le tribunal. Relaxé en première instance, il est à présent interrogé par la présidente d'audience sur des messages qu’il avait écrits sur le formulaire d’inscription dans le groupe des Barjols. Il y évoquait son souhait d’être armé, « et de reprendre le pays aux baltringues. » Il explique à la juge avoir été « entraîné dans un délire ».

« Pourquoi vous vouliez une arme ?  lui demande la présidente d’audience.

-       La peur.

-       Vous aviez peur de quoi, monsieur ?

-       Quelque part, avec tout ce qui se passait, on ne se sentait pas vraiment en sécurité. Après réflexion, plus tard, je me suis rendu compte que j’avais mis en danger ma famille. »

« Même des élus commençaient à parler de ça »

La juge cite des propos que le prévenu avait tenus devant le tribunal correctionnel, en première instance. Il avait confié sa peur qu’une guerre se déclenche. Elle le regarde d’un air étonné :  

« Mais de quelle guerre aviez-vous peur ?

-       Ça circulait partout, il y avait même des élus sur les réseaux sociaux qui commençaient à parler de ça. 

-       Alors comme vous craigniez la guerre, est-ce que vous ne vouliez pas justement, mener une action ?

-       Mener une action non, surtout protéger ma femme et mes gosses. Mes grands-parents ont connu les deux guerres mondiales. Ils m’ont raconté, et ça fait quand même peur, quoi. »

La magistrate aimerait comprendre quels « éléments tangibles » ont pu pousser Sébastien A. à croire à l’imminence d’une guerre, en 2018. C’était « toutes les vidéos », et « plein de gens » sur les réseaux sociaux, explique-t-il. Il parle d'une prise de conscience tardive, qui l’a amené à s’écarter du groupe, mais aussi de Facebook : « Les réseaux sociaux, c’est dangereux : des gens incitent à la violence, mais tout cela n’est pas filtré. On se défoule, on ne fait pas attention ». Quand la juge le questionne sur sa participation à une balade pour visiter un bunker, près de Montdidier, le prévenu confirme que c’était pour aider sa fille à la réalisation d’un exposé pour l’école, où elle étudiait l’histoire de la Seconde guerre mondiale : « Ma femme et mes enfants sont musulmans, et il y a beaucoup d’amalgames, on en parlait en famille », complète-t-il.

Chez d’autres membres du groupe, les investigations ont révélé certains éléments pour le moins marqués idéologiquement. Ainsi, on a trouvé une chaudière à l’effigie d’Hitler chez l’un des mis en cause. Sur l’ordinateur d’un autre, des messages typiques de l'extrême droite, l’un, accompagné de croix celtes, appelant à stopper un « white genocide », ou des messages hostiles à l’islam et à Macron. Ou encore, « de l’humour d’ultra-droite », illustre l’avocate générale, en évoquant une photo intitulée « section Dachau », sur laquelle figure une photo de Waffen-SS. Son avocate fera valoir un peu plus tard que ses photos représentaient une infime portion des photos qu’il possédait : 14 sur environ 240 000 images. Parmi les différents propos mis en exergue par l’accusation, il y a aussi la proposition formulée par Nathalie C. de tendre un piège à des musulmans. « On pourrait attirer des musulmans avec une jeune fille, pour les prendre en tenaille », a-t-elle ainsi proposé à ses camarades.

Des réquisitions musclées

Les trois prévenus déjà condamnés en première instance font l’objet des réquisitions suivantes : avec mandats d’arrêt, huit ans de prison dont deux avec sursis pour Jean-Pierre B., et sept ans dont deux avec sursis pour Michaël et David G. En ce qui concerne les prévenus relaxés en première instance, le ministère public requiert sept ans de prison dont deux avec sursis pour Denis C., cinq ans dont trois avec sursis pour Nathalie C., trois ans dont un avec sursis pour Jérôme T., deux ans de prison dont un avec sursis pour Julien C. Et enfin, des peines de trois ans avec sursis pour Sébastien A. et Xavier G.

L’avocate générale tient à anticiper les plaidoiries et recontextualise l’interpellation des Barjols, au regard d’une montée des projets d'ultra-droite déjoués par les services d’antiterrorisme. Soit 14 depuis 2015. Elle rappelle les propos de Denis C. sur le besoin « d’explosifs pour se défendre contre l’islam », et les recettes d’explosifs que lui a transmises Jérôme T. après les avoir trouvées sur internet.

La procureure veut balayer l’idée d’un procès politique, en pointant chez les Barjols « une volonté de maillage du territoire, avec des référents, des techniques de combats et une accessibilité aux armes ». Elle rappelle la nature exacte de la qualification d’association de malfaiteur terroriste : « c’est plus que l’intention, mais moins que le commencement de l’exécution ». Parmi les éléments qu’elle estime probants, elle désigne aussi la volonté de certains membres de diviser les Barjols en deux, « avec un groupe légal, et un illégal ». 

Des prévenus aux étiquettes politiques plutôt floues

Les plaidoiries des avocats des différents prévenus se succèdent. Entre conseils, on trouve bien sûr des convergences. Par exemple, sur la visite des bunkers : était-ce vraiment un repérage pour une quelconque planque ou pour cacher des armes, au milieu d’un site qui reçoit de nombreuses visites touristiques ?

Sans surprise, certains aspects des plaidoiries cherchent à souligner comment un prévenu se distingue vis-à-vis du reste du groupe. L’un par son caractère influençable, l’autre par sa solitude et son besoin de compagnie. Les avocats vont par ailleurs, globalement, s’efforcer de dresser le portrait d’individus plus ou moins innocents.  David G. est dépeint comme un « gros nounours ». Ou encore comme un « mari doux et naïf » avec un « socle empathique extrêmement important ». Même Denis C., créateur du groupe Facebook puis référent national des Barjols, est décrit par son avocate comme « influençable »

Il est vrai que les parcours de vie des prévenus sont plutôt cabossés, marqués par la précarité professionnelle. En somme, ce sont des « gens très seuls, avec des parcours accidentés, et à qui la vie fait peur », explique maître Cayol, qui défend Julien C. En matière de preuves, elle estime que l’accusation du ministère public fait « pschitt ». L’avocate souligne le caractère hétérogène des intérêts des membres des Barjols, tout comme de leurs sensibilités politiques : « ça vote Dupont-Aignan, ça vote Besancenot, ça vote Le Pen, ça vote Macron », martèle-t-elle.  

Axe transversal à l’ensemble des plaidoiries : un effort de contextualisation sociologique. La procureure s'était employée à distinguer les Barjols des Gilets jaunes, en pointant leur antériorité à ce mouvement. Maître Ronen, au contraire, insiste sur la porosité entre les idées des deux mouvements. A l’appui de son propos, elle cite un rapport de la Fondation Jean-Jaurès et l’ouvrage Sociologie des Gilets jaunes pour évoquer des « ruptures biographiques » qui peuvent plonger les personnes dans la précarité, et nourrir la colère sociale. Elle évoque aussi le sort de son client, Jean-Pierre B., ses difficiles conditions de détention, et la détection tardive de son cancer.

Dans une dernière plaidoirie, l'avocate donne des exemples d’affaires ressemblantes qui n’ont pas été considérées comme terroristes, telle que la tentative assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie, le 14 juillet 2002. L’auteur avait été condamné à dix ans de prison. Ou encore le procès de l’attaque d’un ministère, lors d’une manifestation des Gilets jaunes, qui n’avait pas été qualifiée, non plus, de terroriste. 

Rats des villes contre rats des champs ?

Inspirée, la défense distille aussi quelques références littéraires, citant notamment du Jean de la Fontaine. Une avocate évoque le risque d’un procès fait par les « rats des villes » aux « rats des champs ». Une autre explique que les Barjols, c’est surtout une histoire de grenouilles qui ont voulu se faire aussi grosses que le bœuf. Et surtout, une occasion de se sentir valorisé et de trouver du lien. D’un côté, la défense dénonce des « fables » quant aux vagues projets pointés par l’accusation. Et de l’autre, elle ménage la chèvre et le chou, comme lorsqu’elle peint les accusés en victimes influençables. Parfois, les Barjols sont un peu plus pris au sérieux, comme en témoigne leur intérêt sincère pour le survivalisme, déconnecté de toute velléité violente. Plusieurs avocats remettent également en question la manière dont les interrogatoires ont été menés par la DGSI, tout en pointant un assemblage de preuves insuffisamment homogènes et reliées pour être analyse comme des projets terroristes.

Dans son réquisitoire, l’avocate générale avait insisté sur les nombreuses armes saisies chez plusieurs prévenus, mais aussi les nombreuses paroles anti-migrants et anti-Macron, en parallèle d’appels à l’action, et laissant redouter un passage à l’acte.

Entre ces différentes visions des prévenus du groupe des Barjols, la cour d’appel devra trancher. Pour cela, elle a décidé de s’accorder du temps. Ainsi, la présidente d’audience a annoncé qu’elle rendrait son délibéré le 13 mai.

Etienne Antelme


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