CHRONIQUE. Fin 2018, la DGSI
avait procédé à de premières arrestations parmi un groupuscule proche de
l’extrême droite, les Barjols. Elle soupçonnait alors une tentative
d’assassinat du président de la République. Après une condamnation en première
instance de quatre d’entre eux, début 2023, le procès en appel s’est achevé ce
mercredi 29 janvier, devant la Cour d’appel de Paris.
En cette fin de
procès, c’est Sébastien A. qui est interrogé par le tribunal. Relaxé en
première instance, il est à présent interrogé par la présidente d'audience sur
des messages qu’il avait écrits sur le formulaire d’inscription dans le groupe
des Barjols. Il y évoquait son souhait d’être armé, « et de reprendre le pays aux baltringues. » Il explique à la
juge avoir été « entraîné dans un
délire ».
« Pourquoi
vous vouliez une arme ? lui demande
la présidente d’audience.
- La peur.
- Vous aviez peur de quoi, monsieur ?
- Quelque part, avec tout ce qui se passait, on ne se sentait pas
vraiment en sécurité. Après réflexion, plus tard, je me suis rendu compte que
j’avais mis en danger ma famille. »
« Même des élus commençaient à parler de ça »
La juge cite des
propos que le prévenu avait tenus devant le tribunal correctionnel, en première
instance. Il avait confié sa peur qu’une guerre se déclenche. Elle le regarde
d’un air étonné :
« Mais de
quelle guerre aviez-vous peur ?
- Ça circulait partout, il y avait même des élus sur les réseaux
sociaux qui commençaient à parler de ça.
- Alors comme vous craigniez la guerre, est-ce que vous ne vouliez
pas justement, mener une action ?
- Mener une action non, surtout protéger ma femme et mes gosses. Mes
grands-parents ont connu les deux guerres mondiales. Ils m’ont raconté, et ça
fait quand même peur, quoi. »
La magistrate
aimerait comprendre quels « éléments
tangibles » ont pu pousser Sébastien A. à croire à l’imminence d’une
guerre, en 2018. C’était « toutes
les vidéos », et « plein de gens »
sur les réseaux sociaux, explique-t-il.
Il parle d'une prise de conscience tardive, qui l’a amené à s’écarter du
groupe, mais aussi de Facebook : « Les
réseaux sociaux, c’est dangereux : des gens incitent à la violence, mais tout
cela n’est pas filtré. On se défoule, on ne fait pas attention ».
Quand la juge le questionne sur sa participation à une balade pour visiter
un bunker, près de Montdidier, le prévenu confirme que c’était pour aider sa
fille à la réalisation d’un exposé pour l’école, où elle étudiait l’histoire de
la Seconde guerre mondiale : « Ma
femme et mes enfants sont musulmans, et il y a beaucoup d’amalgames, on en
parlait en famille », complète-t-il.
Chez d’autres
membres du groupe, les investigations ont révélé certains éléments pour le
moins marqués idéologiquement. Ainsi, on a trouvé une chaudière à l’effigie
d’Hitler chez l’un des mis en cause. Sur l’ordinateur d’un autre, des messages
typiques de l'extrême droite, l’un, accompagné de croix celtes, appelant à
stopper un « white genocide »,
ou des messages hostiles à l’islam et à Macron. Ou encore, « de l’humour d’ultra-droite », illustre
l’avocate générale, en évoquant une photo intitulée « section Dachau »,
sur laquelle figure une photo de Waffen-SS. Son avocate fera valoir un peu plus
tard que ses photos représentaient une infime portion des photos qu’il
possédait : 14 sur environ 240 000 images. Parmi les différents propos mis
en exergue par l’accusation, il y a aussi la proposition formulée par Nathalie
C. de tendre un piège à des musulmans. « On pourrait attirer des musulmans avec une jeune fille, pour les
prendre en tenaille », a-t-elle ainsi proposé à ses camarades.
Des réquisitions musclées
Les trois
prévenus déjà condamnés en première instance font l’objet des réquisitions
suivantes : avec mandats d’arrêt, huit ans de prison dont deux avec sursis pour
Jean-Pierre B., et sept ans dont deux avec sursis pour Michaël et David G. En
ce qui concerne les prévenus relaxés en première instance, le ministère public
requiert sept ans de prison dont deux avec sursis pour Denis C., cinq ans dont
trois avec sursis pour Nathalie C., trois ans dont un avec sursis pour Jérôme
T., deux ans de prison dont un avec sursis pour Julien C. Et enfin, des peines
de trois ans avec sursis pour Sébastien A. et Xavier G.
L’avocate
générale tient à anticiper les plaidoiries et recontextualise l’interpellation
des Barjols, au regard d’une montée des projets d'ultra-droite déjoués par les
services d’antiterrorisme. Soit 14 depuis 2015. Elle rappelle les propos de
Denis C. sur le besoin « d’explosifs
pour se défendre contre l’islam », et les recettes d’explosifs que lui
a transmises Jérôme T. après les avoir trouvées sur internet.
La procureure
veut balayer l’idée d’un procès politique, en pointant chez les Barjols « une volonté de maillage du territoire, avec
des référents, des techniques de combats et une accessibilité aux armes ». Elle rappelle la nature exacte de
la qualification d’association de malfaiteur terroriste : « c’est plus que l’intention, mais moins que
le commencement de l’exécution ». Parmi
les éléments qu’elle estime probants, elle désigne aussi la volonté de certains
membres de diviser les Barjols en deux, « avec
un groupe légal, et un illégal ».
Des prévenus aux étiquettes politiques plutôt floues
Les plaidoiries
des avocats des différents prévenus se succèdent. Entre conseils, on trouve
bien sûr des convergences. Par exemple, sur la visite des bunkers :
était-ce vraiment un repérage pour une quelconque planque ou pour cacher des
armes, au milieu d’un site qui reçoit de nombreuses visites touristiques ?
Sans surprise,
certains aspects des plaidoiries cherchent à souligner comment un prévenu se
distingue vis-à-vis du reste du groupe. L’un par son caractère influençable,
l’autre par sa solitude et son besoin de compagnie. Les avocats vont par
ailleurs, globalement, s’efforcer de dresser le portrait d’individus plus ou
moins innocents. David G. est dépeint comme un « gros nounours ». Ou encore comme un « mari doux et naïf »
avec un « socle empathique
extrêmement important ».
Même Denis C., créateur du groupe Facebook puis référent national des Barjols,
est décrit par son avocate comme « influençable
».
Il est vrai que
les parcours de vie des prévenus sont plutôt cabossés, marqués par la précarité
professionnelle. En somme, ce sont des « gens très seuls, avec des parcours accidentés, et à qui la vie fait
peur », explique maître Cayol, qui défend
Julien C. En matière de preuves, elle estime que l’accusation du ministère
public fait « pschitt ». L’avocate souligne le caractère
hétérogène des intérêts des membres des Barjols, tout comme de leurs
sensibilités politiques : « ça vote
Dupont-Aignan, ça vote Besancenot, ça vote Le Pen, ça vote Macron »,
martèle-t-elle.
Axe transversal à
l’ensemble des plaidoiries : un effort de contextualisation
sociologique. La procureure s'était employée à distinguer les Barjols des Gilets
jaunes, en pointant leur antériorité à ce mouvement. Maître Ronen, au contraire,
insiste sur la porosité entre les idées des deux mouvements. A l’appui de son
propos, elle cite un rapport de la Fondation Jean-Jaurès et l’ouvrage Sociologie des Gilets jaunes pour évoquer des « ruptures biographiques » qui peuvent
plonger les personnes dans la précarité, et nourrir la colère sociale. Elle
évoque aussi le sort de son client, Jean-Pierre B., ses difficiles conditions
de détention, et la détection tardive de son cancer.
Dans une dernière
plaidoirie, l'avocate donne des exemples d’affaires ressemblantes qui n’ont pas
été considérées comme terroristes, telle que la tentative assassinat de Jacques
Chirac par Maxime Brunerie, le 14 juillet 2002. L’auteur avait été condamné à
dix ans de prison. Ou encore le procès de l’attaque d’un ministère, lors d’une
manifestation des Gilets jaunes, qui n’avait pas été qualifiée, non plus, de
terroriste.
Rats des villes contre rats des champs ?
Inspirée, la
défense distille aussi quelques références littéraires, citant notamment du
Jean de la Fontaine. Une avocate évoque le risque d’un procès fait par les « rats des villes »
aux « rats des champs ».
Une autre explique que les Barjols, c’est surtout une histoire de grenouilles
qui ont voulu se faire aussi grosses que le bœuf. Et surtout, une occasion de
se sentir valorisé et de trouver du lien. D’un côté, la défense dénonce des « fables » quant aux vagues
projets pointés par l’accusation. Et de l’autre, elle ménage la chèvre et le
chou, comme lorsqu’elle peint les accusés en victimes influençables. Parfois,
les Barjols sont un peu plus pris au sérieux, comme en témoigne leur intérêt
sincère pour le survivalisme, déconnecté de toute velléité violente. Plusieurs
avocats remettent également en question la manière dont les interrogatoires ont
été menés par la DGSI, tout en pointant un assemblage de preuves insuffisamment
homogènes et reliées pour être analyse comme des projets terroristes.
Dans son
réquisitoire, l’avocate générale avait insisté sur les nombreuses armes saisies
chez plusieurs prévenus, mais aussi les nombreuses paroles anti-migrants et
anti-Macron, en parallèle d’appels à l’action, et laissant redouter un passage
à l’acte.
Entre ces
différentes visions des prévenus du groupe des Barjols, la cour d’appel devra
trancher. Pour cela, elle a décidé de s’accorder du temps. Ainsi, la présidente
d’audience a annoncé qu’elle rendrait son délibéré le 13 mai.
Etienne Antelme