Pendant
trois jours à compter du 22 avril, 360 élèves de seconde se retrouvent au
cinéma du théâtre de La Celle Saint-Cloud pour visionner 1:54 (2016), un
film québécois réalisé par Yan England, et échanger avec des professionnels du droit.
Cette initiative du conseil départemental de l’accès au droit (CDAD) des
Yvelines est saluée par des adolescents fortement réceptifs.
«
Une ultime question ? »,
demande Chantal Arens, première présidente honoraire de la Cour de
cassation. « Oui, s’il vous plaît, répond timidement une lycéenne à qui
l’on vient de tendre le micro. Comment le montant des amendes pour une telle
infraction et le temps d'emprisonnement sont décidés ? ». L’infraction
en question : le harcèlement scolaire, auquel est consacré la première
édition du festival du film judiciaire des Yvelines, dont le coup d’envoi a été
donné ce lundi 22 avril. Objectif : rompre le tabou autour d’un fléau qui
touche 5% des élèves du primaire, 6% des collégiens et 4% des lycéens.
Pour
l’occasion, près de 360 lycéens issus de cinq établissements et 14 classes vont
défiler au cinéma du théâtre de La Celle Saint-Cloud d’ici le 24 avril, afin
d’assister à la projection de 1:54 (2016), un film québécois réalisé par
Yan England. Le spectateur y suit le quotidien difficile de Tim – interprété
par Antoine Olivier Pilon, révélé par Mommy (2014) – un jeune homme de 16 ans
aussi brillant en sport qu’en physique-chimie, harcelé par plusieurs camarades.
Pour la séance du lundi, suivi d’un débat avec des professionnels du droit, six
classes sont présentes.
«
Cet évènement était pensé pour les élèves de seconde, mais on y a quand même
mis nos CAP entrants parce qu'on a considéré que c’était important pour eux :
on a eu des cas de harcèlement dans ces classes », indique Inès Tomasik, professeure
documentaliste au lycée professionnel Lucien-René Duchesne, à La Celle
Saint-Cloud.
« Allez
voir qui vous voulez »
Malgré
quelques commentaires et rires embarrassés çà et là lors des scènes
homosexuelles, les élèves se sont montrés attentifs au film. « Je l’ai
trouvé bien, témoigne Gaspard, 14 ans, étudiant en seconde. On ressent
bien ce que le personnage principal traverse, on comprend sa situation,
pourquoi il est isolé, pourquoi ça lui arrive : on arrive à se mettre à sa
place ». Ce mot revient : « l’isolement ».
« Je suis maman de six enfants et un de mes fils a
subi des problèmes de harcèlement. Malgré cet entourage il se sentait très seul, partage Julie Mottier, directrice du service départemental
des Yvelines d’aide aux victimes (DIRE). C’est parce qu’il s’est senti
responsable de la situation dans laquelle il était, alors qu’il ne l’était
absolument pas. Si un jour il vous arrivait d’avoir un problème de harcèlement,
n’ayez pas honte, allez voir qui vous voulez, que ce soit quelqu’un de la
justice, de la police ou même de votre famille, une personne en qui vous avez
confiance et qui va vous aider à passer le cap. »
« Je
ne pensais pas que le harcèlement pouvait aller aussi loin »
L’inéluctabilité
de la violence du film choque aussi les esprits. « La seule chose que je
trouve dommage, c’est qu'il n’y a pas vraiment de rebondissement où tout
bascule, regrette Gonzague, 16 ans. Ça va seulement dans le sens des
harceleurs, ça montre qu’ils ont toujours le dessus. Au final, les deux jeunes
qui subissent le harcèlement meurent ; j'aurais aimé en voir un se rebeller ».
Un sentiment d’injustice difficile à digérer pour certains, important pour
d’autres. « Je ne pensais pas que le harcèlement pouvait aller aussi loin »,
admet pour sa part Imen, 15 ans, élève en seconde.
Pourtant
les conséquences du harcèlement scolaire sont bien réelles, d’abord sur
l’assiduité ou la qualité du travail. 5% des écoliers du CE2 au CM2 déclarent
avoir peur d’aller à l’école à cause d’un ou plusieurs élèves et 5% des
collégiens se disent victimes répétées de 5 atteintes ou plus à leur personne,
selon une enquête du ministère de l’Education nationale menée en 2023. Dans de
rares cas qui ont marqué l’opinion, comme celui de Nicolas, 15 ans, décédé en
septembre dernier, les attaques physiques ou morales subies par les enfants et
leur non prise en charge peuvent les conduire au désespoir.
Les
réseaux sociaux aggravent l’effet de bande
« [Le
harcèlement scolaire] est un délit dont les peines ont été beaucoup majorées avec le fait qu’une
personne se suicide »,
explique Chantal Arens, première présidente honoraire de la Cour de cassation, même
si la magistrate reconnaît qu’il est « souvent difficile d’établir les
faits de harcèlement ». Il existe toutefois des schémas type : « Souvent,
les personnes qui harcèlent choisissent des victimes qu'elles estiment être
faibles, relève Chantal Arens. Vous l'avez vu aussi, c’est assez rare de
voir un harceleur tout seul. En général, il y a une bande qui soutient la
personne qui harcèle. »
Et
avec les réseaux sociaux, l’effet de meute et le sentiment d’impunité s’est
décuplé ces dernières années. « Si
j'ai un message [à faire passer]
en tant que bâtonnier, c’est vraiment de bien réfléchir, d'être tout le
temps en conscience d'avoir une responsabilité : poster une vidéo, c’est
prendre une responsabilité », prévient
Raphaël Mayet, bâtonnier du barreau de Versailles. Et Chantal Arens d’ajouter :
« Certains ont l'idée que les mineurs ne risquent pas grand-chose :
c’est faux. Jusqu'à 13 ans, les mineurs ont une présomption de non
discernement, c’est-à-dire qu’ils n'ont pas compris la portée de leur acte.
Cette présomption peut être renversée : un mineur qui a moins de 13 ans peut
être poursuivi. Puis, entre 13 et 18 ans, même si les peines sont de moitié,
elles sont quand même très importantes. »
«
Cet après-midi m’a ouvert les yeux »
Du
côté des élèves, la découverte est totale. « C’est intéressant d’avoir pu interroger
[des professionnels du droit], de voir comment ça se passe aussi à
l'intérieur et comment ils prennent en compte chaque élément, se réjouit
Imen. Ça m’a beaucoup plu, on apprend plein de choses ; j’aimerais qu’il y
ait plus d’événements comme celui-ci ». Même son de cloche chez Gonzague :
« Étant donné que le film ne montre pas vraiment l’aide qu’on peut recevoir
après avoir dénoncé du harcèlement, c’est bien de voir qu’il y a tout un
arsenal derrière. »
« Maintenant, on comprend les
peines, donc ça dissuade, rajoute Gaspard. Puis, comme le harcèlement
est quelque chose de très abstrait et difficile à discerner, ça aide de voir
des gens qui ont l’habitude de rencontrer ces cas. » Par exemple,
Imen a pris conscience qu’elle a déjà été confrontée à une situation de
harcèlement : « Cet après-midi m’a ouvert les yeux sur le fait qu'une
personne au collège subissait peut-être ça. Je ne savais pas vraiment de
quoi il en retournait et je n’y ai pas du tout réagi. »
Gaspard
opine. « C’est très compliqué de déceler ce qu’il se passe, estime-t-il.
Je n’ai jamais assisté à du harcèlement, mais je me suis déjà posé la
question. Par exemple quand on se charrie avec des amis, si on fait des blagues
sur certains, mais qu’ils ne disent pas si ça va ou pas, on ne sait pas
vraiment [ce qu’il en est]. Donc on arrête parce que s’ils le prennent
mal c’est pas cool. »
Si
l’adolescent pousse le raisonnement, c’est parce qu’il a été sensibilisé à
cette problématique par son frère, de dix ans son aîné. « Il a vécu du
harcèlement en raison de sa taille : les gens le traitaient de nain,
raconte-t-il. Il m’a dit qu’il avait décidé de les ignorer, de passer outre
». Le frère de Gaspard a prévenu son entourage et a changé de collège, pour
prendre un nouveau départ. « Ça lui a fait énormément de bien. Maintenant,
quand il m'en parle, il n'est pas triste », reprend l’adolescent de 14
ans, en précisant avoir à nouveau échangé sur le sujet avec son frère il y a
quelques jours. « Il en a fait une force. »
Floriane Valdayron