DROIT

Contrats musicaux : la révolution des artistes indépendants

Contrats musicaux : la révolution des artistes indépendants
Publié le 02/03/2025 à 11:00

SÉRIE « INDUSTRIE DE LA MUSIQUE » (8/8). Dans une industrie musicale en pleine mutation, le contrat de distribution amélioré s’impose comme une alternative clé aux modèles traditionnels. Préservant l’indépendance des artistes tout en répondant aux défis numériques, il redéfinit les équilibres grâce à un cadre juridique innovant et des services sur-mesure.

Cette série de huit articles dresse un panorama des pratiques actuelles des acteurs de l’industrie de la musique qui épousent les dernières technologies :

• Droits d’auteur à l’ère du streaming : quelle répartition des revenus ? ;
• L’intelligence artificielle dans la musique : quand la créativité humaine défie les machines ;
• NFT et droits musicaux : une nouvelle forme de propriété ? ;
• Clauses contractuelles : les rouages de l’industrie musicale au prisme des jeunes talents ;
• Sampling musical : créativité ou violation des droits ? ;
• Le futur des concerts dans le métavers : opportunité ou chaos juridique ? ;
• Hologrammes d'artistes décédés : la collision entre droit, mémoire et technologie ;
Contrats musicaux : la révolution des artistes indépendants.

Dans l’industrie musicale, les révolutions arrivent souvent sans crier gare. Elles naissent discrètement, bouleversant des pratiques bien établies. Tout a commencé avec l’émergence de l’autoproduction, qui s’est d’abord imposée dans la musique électronique, puis dans la musique urbaine. Les artistes, longtemps dépendants des structures traditionnelles, y ont trouvé une liberté nouvelle. « Avec les nouvelles technologies, produire un enregistrement coûte bien moins cher qu’il y a 20 ou 30 ans », explique Claire Prugnier, avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit de la musique. « Les artistes peuvent tout faire depuis chez eux, avec un simple ordinateur et les bons logiciels. Ce bouleversement a drastiquement réduit leur dépendance à l’égard des majors pour financer leurs enregistrements. »

Mais cette quête d’autonomie a ses limites. « Les artistes peuvent produire et diffuser leurs œuvres et enregistrements seuls, mais ils ne peuvent pas tout gérer eux-mêmes », précise l’avocate. « C’est là que l’accompagnement des maisons de disques reste pertinent. » C’est dans ce contexte que les contrats de distribution, adaptés aux réalités numériques, se sont imposés face aux contrats dits « 360 ». Ils se déclinent en deux catégories aux impacts bien différents. « Le contrat 360 "actif" est conclu à titre exclusif entre l’artiste et le partenaire économique qui endosse différentes qualités : éditeur de phonogramme, producteur de phonogramme, producteur de spectacle », explique Isabelle Wekstein-Steg, avocate au barreau de Paris. Cela permet parfois à des artistes auto- producteurs d’intégrer cette structure dans leur propre société, conservant ainsi une partie du contrôle créatif et financier. À l’inverse, « le contrat 360 "passif" inclut une clause qui stipule que, pour certaines exploitations relevant des droits de la personnalité de l’artiste – comme le droit à l’image ou les partenariats publicitaires –, le producteur percevra une commission, souvent comprise entre 5 % et 15 %. »

« Ces contrats, qui donnaient un contrôle très large aux majors sur toutes les activités de l’artiste, ont perdu de leur attrait. Ils ont été perçus comme excessifs par de nombreux artistes, ce qui a contribué à les éloigner des majors. Maintenant, il s’agit de recréer un climat de confiance, où chacun fait ce qu’il sait faire, sans chercher à exploiter l’autre », explique de son côté maître Prugnier. Cependant, cette transformation s’inscrit dans un cadre juridique complexe, où les règles françaises et européennes protègent les créateurs tout en répondant aux défis du numérique.

Un modèle contractuel défini par le Code de la propriété intellectuelle

Le contrat de distribution ou de licence se distingue du contrat d’artiste traditionnel. Contrairement à ce dernier, qui implique une cession des droits de propriété intellectuelle, le contrat de distribution maintient l’artiste en position de force. « L’artiste engage simplement la maison de disques pour un service précis, qu’il s’agisse de distribution ou de distribution assortie d’un travail de promotion et de marketing. L’artiste reste propriétaire de ses enregistrements et conserve ses droits de producteur. C’est un changement majeur », explique Claire Prugnier.

Cette particularité repose sur plusieurs articles du Code de la propriété intellectuelle (CPI). L’article L. 212-4 garantit aux artistes une rémunération équitable pour toute diffusion de leurs œuvres. L’article L. 131-3 impose une description précise des droits cédés, tandis que l’article L. 121-1 protège le droit moral des créateurs, leur permettant de garder un contrôle sur l’exploitation de leurs œuvres.

Ces garanties, souvent méconnues des artistes, les placent dans une position favorable, notamment lorsqu’ils négocient les services fournis par les distributeurs, comme la promotion ou la gestion des plateformes numériques.

Universal s'impose

Les évolutions législatives européennes ont également joué un rôle clé. La directive 2019/790 sur le droit d’auteur, transposée en droit français en 2021, a introduit des principes essentiels pour adapter l’industrie musicale à l’ère numérique. Son article 17 oblige les plateformes comme YouTube ou TikTok à conclure des accords de licence avec les ayants droit.

En janvier 2024, Universal Music Group (UMG) a secoué l’industrie en retirant son catalogue de TikTok, invoquant des désaccords sur la rémunération des artistes et l’utilisation de leurs œuvres pour entraîner des intelligences artificielles. Des icônes comme Taylor Swift ou Drake se sont retrouvées absentes de la plateforme, provoquant un choc pour les utilisateurs et un coup de projecteur sur les tensions croissantes entre majors et plateformes numériques.

Après plusieurs mois de négociations tendues, TikTok a finalement cédé en mai, signant un nouvel accord de licence avec UMG. Celui-ci garantit une meilleure rémunération pour les artistes et engage TikTok à bannir les contenus générés par IA non autorisés. Les morceaux UMG sont revenus sur la plateforme, mais à des conditions plus strictes. « Tout s’est finalement bien terminé. Universal a même pris l’initiative de réunir les avocats de l’industrie musicale pour expliquer les raisons de leur positionnement face à TikTok. Cela montre que, même dans un contexte de conflit, il peut y avoir un dialogue constructif entre les différentes parties prenantes », analyse l’avocate.

Si des géants comme UMG mènent des batailles pour protéger les droits des artistes face aux plateformes, à l’échelle individuelle, les créateurs doivent relever un autre défi : se faire entendre dans un univers saturé.

Produire est facile, se faire entendre l’est moins

Avec les progrès technologiques, produire un morceau coûte bien moins cher qu’il y a 20 ans. Les réseaux sociaux, eux, ont bouleversé la façon dont les artistes se font connaître, en réduisant leur dépendance aux majors pour la promotion. « À l’ère des réseaux sociaux, en particulier sur Instagram, il est de plus en plus fréquent qu’un artiste assure sa propre promotion », rappelle maître Wekstein-Steg. Elle cite l’exemple de Rilès, un artiste de musique urbaine qui a rencontré un succès phénoménal en autoproduisant ses morceaux et en les publiant sur YouTube. « Alors qu’il débutait, sa visibilité a considérablement augmenté grâce à un créateur de contenu populaire sur YouTube, qui a vanté ses talents dans l'une de ses vidéos. »

Cependant, cette accessibilité a conduit à une saturation des contenus. Chaque semaine, des dizaines de milliers de morceaux sont mis en ligne sur des plateformes comme Spotify ou Apple Music. « Produire est facile, mais dans un univers saturé, se faire entendre est devenu un défi monumental », souligne maître Prugnier.

C’est ici que les contrats de distribution améliorés trouvent leur pertinence. Ils offrent des services de promotion et de placement dans des playlists, essentiels pour capter l’attention du public. Les nouveaux modèles contractuels transforment la carrière des artistes. Aya Nakamura, grâce à un contrat de licence, a su propulser des morceaux comme Djadja au sommet des charts mondiaux, tout en gardant son indépendance artistique.

Les défis persistants : rémunération et visibilité

Malgré les avancées, le streaming reste un défi financier. Un million d’écoutes sur Spotify rapporte en moyenne 1 500 euros à un artiste, bien loin des revenus générés par les ventes de CD ou de vinyles. Cette situation pousse les artistes à diversifier leurs revenus : concerts, synchronisations publicitaires, merchandising... Mais ces opportunités restent inégalement accessibles.

Pour contourner les contraintes de distribution et élargir leurs possibilités, les artistes indépendants peuvent se tourner vers des agrégateurs comme TuneCore. « En plus de l’autoproduction, l’artiste indépendant peut "auto-distribuer" son morceau en le publiant sur des plateformes comme YouTube ou SoundCloud. Il peut également recourir aux services d’un agrégateur, qui assure la transmission du morceau aux plateformes de streaming moyennant un abonnement », explique Isabelle Wekstein-Steg. Ces outils leur permettent de toucher un public mondial tout en restant maître de leur contenu. Pourtant, même avec ces solutions, la saturation des contenus accentue les inégalités.

« Les artistes doivent désormais penser comme des marketeurs, anticiper les tendances et maximiser leur présence en ligne », note maître Prugnier. Les contrats de distribution améliorés offrent des solutions, mais leur efficacité dépend encore largement des majors et de leur capacité à mobiliser leurs réseaux.

Pour que cette révolution tienne ses promesses, le cadre juridique doit continuer à évoluer. La Directive 2019/790 a renforcé les droits des créateurs face aux plateformes, mais des zones grises subsistent, notamment autour de l’intelligence artificielle et de la transparence des rémunérations. « Les artistes doivent pouvoir comprendre et contrôler les contrats qu’ils signent. Le rôle des juristes est essentiel pour traduire ces concepts en outils concrets de protection », conclut l’avocate.

Une révolution en suspens : la prochaine étape

Les contrats de distribution améliorés ou de licence incarnent une avancée majeure dans une industrie qui cherche encore son équilibre. Ils promettent une autonomie inédite pour les artistes, tout en s’adaptant aux impératifs numériques. Mais cette (r)évolution reste inachevée. Les algorithmes dictent trop souvent les règles du jeu, les revenus issus du streaming peinent à suffire, et les menaces liées à l’IA rappellent que les défis ne manquent pas.

Pour franchir un cap, les artistes apprennent à s’unir. Les collectifs d’artistes, encore assez rares, pourraient devenir le levier qui manquait. Avec eux, c’est une autre puissance de négociation qui naît face aux majors et aux plateformes, tout en offrant des outils concrets – juridiques, numériques, stratégiques – à ceux qui hésitent à se lancer seuls.

La clarté juridique doit aussi s’imposer. Trop de contrats sont encore des labyrinthes d’obligations et de clauses complexes, éloignant les créateurs de leurs droits. Il faut des modèles contractuels standards, simples et lisibles, pour mettre les artistes au cœur de leur propre carrière.

Et si la solution venait des artistes eux-mêmes ? Des plateformes collaboratives émergent, portées par des valeurs d’équité et de transparence. Ces modèles, qui redéfinissent la distribution et la promotion, pourraient offrir une alternative crédible aux systèmes traditionnels, trop souvent opaques.

L’avenir de l’industrie musicale ne se résume pas à des batailles d’avocats ou à des jeux d’algorithmes. Il se joue sur un équilibre fragile entre les ambitions des artistes, les responsabilités des majors et les promesses du numérique. Cette révolution n’est pas brutale, c’est une succession de petites victoires où chaque étape compte.

Hugo Bouqueau

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles