ENTREPRISE

Quelle articulation entre la faillite personnelle et la responsabilité pour insuffisance d'actif ?

Quelle articulation entre la faillite personnelle et la responsabilité pour insuffisance d'actif ?
Publié le 02/08/2025 à 11:00

SÉRIE « RESTRUCTURING » (12). L’existence d’une insuffisance d’actif n’est pas une condition de la faillite personnelle. Dès lors, le tribunal qui rejette la demande du liquidateur tendant au prononcé de la faillite personnelle d’un dirigeant à défaut d’établir l’existence d’une telle insuffisance ajoute à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas.

Pour la série restructuring, les professeurs Adeline Cerati, Vincent Perruchot-Triboulet et Bastien Brignon ont choisi de commenter des affaires qui amènent la réflexion sur l’impérieuse nécessité de la présence d’une faute pour sanctionner le dirigeant, la faute détachable des fonctions du dirigeant et la stricte application des textes pour prononcer une faillite personnelle.

l’accumulation de dettes ne conduit pas automatiquement à la sanction du dirigeant ;
l’omission de signaler une créance contestable n’implique pas une faute séparable de ses fonctions de la part du dirigeant ;
l’articulation entre la faillite personnelle et la responsabilité pour insuffisance d’actif .

Note sous Cass. com, 12 juin 2025, n° 24-13.566, F-B, publié au bulletin

Le droit des entreprises en difficulté est complexe, trop technique, voire sophistiqué. C’est l’une des raisons pour lesquelles un groupe de travail a été mis en place afin qu’il soit réformé. Parmi les pistes évoquées, il est prévu de modifier le régime des sanctions, notamment d’atténuer la dualité entre la faillite personnelle et l’interdiction de gérer, et d’éclaircir les différences entre la responsabilité pour insuffisance d’actif et la faillite personnelle.

A ce propos, un arrêt du 12 juin 2025, publié au bulletin, illustre bien la différence entre la faillite personnelle et la responsabilité pour insuffisance d’actif (Cass. com, 12 juin 2025, n° 24-13.566, F-B : Dalloz actualité 30 juin 2025, note Th. Duchesne).

En l’espèce, à la suite du placement successif d’une société en redressement puis en liquidation judiciaire, le liquidateur avait agi à l’encontre du dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actif et en prononcé de sa faillite personnelle. La Cour d’appel a toutefois débouté le liquidateur de ses deux demandes, au seul motif du défaut d’établissement, par celui-ci, d’une insuffisance d’actif. Dans son pourvoi, parmi ses arguments, quant au rejet du prononcé d’une faillite personnelle, le liquidateur plaidait l’ajout par les juges du fond d’une condition non prévue par les textes la régissant, à savoir la preuve d’une insuffisance d’actif. Son argument est accueilli par la Cour de cassation qui, au visa des articles L. 653-4 et L. 653-5 du Code de commerce, casse l’arrêt d’appel précisément quant au rejet de la demande visant au prononcé de la faillite personnelle du dirigeant. Ainsi, après avoir rappelé qu’il résulte de ces textes « que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant de la personne morale débitrice contre lequel a été relevé un ou plusieurs faits qu’ils énumèrent sans qu’il soit tenu de constater l’existence d’une insuffisance d’actif », la chambre commerciale de la Cour de cassation censure les juges du fond pour avoir violé les textes susvisés, par refus d’application, « en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas ».

La cassation était inévitable et la solution ne pouvait pas être différente

En effet, si la faillite personnelle nécessite, pour être mise en œuvre, la commission d’un ou plusieurs faits énumérés aux articles L. 653-3 et suivants du Code de commerce, en revanche, au sein de ces derniers, la condition de l’existence d’une insuffisance d’actif résultant ou non d’un des comportements incriminés n’apparaît aucunement. L’affirmation de la chambre commerciale suivant laquelle la cour d’appel a ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas est donc exacte.

La faillite personnelle se distingue nettement de la responsabilité pour insuffisance d’actif dont elle ne saurait reprendre la condition de cette insuffisance. Ainsi, alors que la faillite personnelle relève du domaine des sanctions, la responsabilité pour insuffisance d’actif relève, comme son nom l’indique, de celui de la responsabilité. De plus, les textes eux-mêmes imposent de ne pas confondre les mécanismes. Si la responsabilité pour insuffisance d’actif ne s’applique qu’en liquidation judiciaire, tel n’est pas le cas de la faillite personnelle, applicable en liquidation judiciaire mais également en redressement judiciaire (C. com., art. L. 653-1, I). Or, en principe et sauf exception, l’insuffisance d’actif est attachée à la liquidation judiciaire. Pour sa part, l’article L. 653-6 du Code de commerce souligne bien la séparation des deux institutions, lequel permet au tribunal de prononcer une mesure de faillite personnelle en cas d’inexécution, par le dirigeant, l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ou l’entrepreneur individuel, de sa condamnation à combler l’insuffisance d’actif.

En outre, la nature singulière de la faillite personnelle impose, en soi, l’absence d’exigence d’une d’insuffisance d’actif pour être mise en œuvre. Ainsi, si la sanction de la faillite personnelle ne constitue pas une sanction pénale, elle revêt néanmoins le caractère d’une punition (Cons. const. 29 sept. 2016, n° 2016-573 QPC, Dalloz actualité, 19 oct. 2016, obs. X. Delpech), contrairement à la responsabilité pour insuffisance d’actif (Cass. com. 8 févr. 2020, n° 18-15.062, n° 18-15.064, n° 18-15.070, n° 18-15.072 et n° 18-15.075 ; Cons. const. 26 sept. 2014, n° 2014-415 QPC, Rev. sociétés 2014. 753, obs. P. Roussel Galle).

Quelle portée attribuer à cet arrêt du 12 juin 2025 ?

La solution, fondée, ne devrait pas être limitée à la seule faillite personnelle, mais concerner également l’interdiction de gérer (C. com., art. L. 653-8), laquelle constitue aussi une sanction professionnelle, de même logique et de même nature que la faillite personnelle, mais distincte en même temps.

Au-delà, la solution de l’arrêt du 12 juin 2025 invite à revoir la dualité – dont c’est peut-être la fin – entre faillite personnelle et interdiction de gérer, dans la lignée de l’avis du Conseil d’État (Conseil d’État, Note pour l’étude simplification relative au livre VI du Code de commerce « Des difficultés des entreprises », 20 juin 2024, spéc. n° 30 et 31), et à surtout clarifier davantage la distinction entre responsabilité pour insuffisance d’actif et faillite personnelle.

Bastien Brignon
Directeur du master Ingénierie des sociétés Aix Marseille Université
Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence

 

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