SÉRIE
« RESTRUCTURING » (12). L’existence d’une insuffisance d’actif n’est pas une condition de la faillite personnelle. Dès lors, le tribunal qui rejette la demande du liquidateur tendant au prononcé de la faillite personnelle d’un dirigeant à défaut d’établir l’existence d’une telle insuffisance ajoute à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas.
Note
sous Cass. com, 12 juin 2025, n° 24-13.566, F-B, publié au bulletin
Le droit des entreprises en difficulté est
complexe, trop technique, voire sophistiqué. C’est l’une des raisons pour
lesquelles un groupe de travail a été mis en place afin qu’il soit réformé.
Parmi les pistes évoquées, il est prévu de modifier le régime des sanctions,
notamment d’atténuer la dualité entre la faillite personnelle et l’interdiction
de gérer, et d’éclaircir les différences entre la responsabilité pour
insuffisance d’actif et la faillite personnelle.
A ce propos, un arrêt du 12 juin 2025, publié au
bulletin, illustre bien la différence entre la faillite personnelle et la
responsabilité pour insuffisance d’actif (Cass. com, 12 juin 2025, n°
24-13.566, F-B : Dalloz actualité 30 juin 2025, note Th. Duchesne).
En l’espèce, à la suite du placement successif
d’une société en redressement puis en liquidation judiciaire, le liquidateur
avait agi à l’encontre du dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actif
et en prononcé de sa faillite personnelle. La Cour d’appel a toutefois débouté
le liquidateur de ses deux demandes, au seul motif du défaut d’établissement,
par celui-ci, d’une insuffisance d’actif. Dans son pourvoi, parmi ses arguments,
quant au rejet du prononcé d’une faillite personnelle, le liquidateur plaidait l’ajout
par les juges du fond d’une condition non prévue par les textes la régissant, à
savoir la preuve d’une insuffisance d’actif. Son argument est accueilli par la
Cour de cassation qui, au visa des articles L. 653-4 et L. 653-5 du Code de
commerce, casse l’arrêt d’appel précisément quant au rejet de la demande visant
au prononcé de la faillite personnelle du dirigeant. Ainsi, après avoir rappelé
qu’il résulte de ces textes « que le tribunal peut prononcer la faillite
personnelle du dirigeant de la personne morale débitrice contre lequel a été
relevé un ou plusieurs faits qu’ils énumèrent sans qu’il soit tenu de constater
l’existence d’une insuffisance d’actif », la chambre commerciale de la Cour de
cassation censure les juges du fond pour avoir violé les textes susvisés, par
refus d’application, « en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne prévoit
pas ».
La
cassation était inévitable et la solution ne pouvait pas être différente
En effet, si la faillite personnelle nécessite,
pour être mise en œuvre, la commission d’un ou plusieurs faits énumérés aux
articles L. 653-3 et suivants du Code de commerce, en revanche, au sein de ces
derniers, la condition de l’existence d’une insuffisance d’actif résultant ou
non d’un des comportements incriminés n’apparaît aucunement. L’affirmation de
la chambre commerciale suivant laquelle la cour d’appel a ajouté à la loi une
condition qu’elle ne prévoit pas est donc exacte.
La faillite personnelle se distingue nettement de
la responsabilité pour insuffisance d’actif dont elle ne saurait reprendre la
condition de cette insuffisance. Ainsi, alors que la faillite personnelle
relève du domaine des sanctions, la responsabilité pour insuffisance d’actif
relève, comme son nom l’indique, de celui de la responsabilité. De plus, les
textes eux-mêmes imposent de ne pas confondre les mécanismes. Si la
responsabilité pour insuffisance d’actif ne s’applique qu’en liquidation
judiciaire, tel n’est pas le cas de la faillite personnelle, applicable en
liquidation judiciaire mais également en redressement judiciaire (C. com., art.
L. 653-1, I). Or, en principe et sauf exception, l’insuffisance d’actif est
attachée à la liquidation judiciaire. Pour sa part, l’article L. 653-6 du Code
de commerce souligne bien la séparation des deux institutions, lequel permet au
tribunal de prononcer une mesure de faillite personnelle en cas d’inexécution,
par le dirigeant, l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ou
l’entrepreneur individuel, de sa condamnation à combler l’insuffisance d’actif.
En outre, la nature singulière de la faillite
personnelle impose, en soi, l’absence d’exigence d’une d’insuffisance d’actif
pour être mise en œuvre. Ainsi, si la sanction de la faillite personnelle ne
constitue pas une sanction pénale, elle revêt néanmoins le caractère d’une
punition (Cons. const. 29 sept. 2016, n° 2016-573 QPC, Dalloz actualité, 19
oct. 2016, obs. X. Delpech), contrairement à la responsabilité pour
insuffisance d’actif (Cass. com. 8 févr. 2020, n° 18-15.062, n° 18-15.064, n°
18-15.070, n° 18-15.072 et n° 18-15.075 ; Cons. const. 26 sept. 2014, n°
2014-415 QPC, Rev. sociétés 2014. 753, obs. P. Roussel Galle).
Quelle
portée attribuer à cet arrêt du 12 juin 2025 ?
La solution, fondée, ne devrait pas être limitée à
la seule faillite personnelle, mais concerner également l’interdiction de gérer
(C. com., art. L. 653-8), laquelle constitue aussi une sanction
professionnelle, de même logique et de même nature que la faillite personnelle,
mais distincte en même temps.
Au-delà, la solution de l’arrêt du 12 juin 2025
invite à revoir la dualité – dont c’est peut-être la fin – entre faillite
personnelle et interdiction de gérer, dans la lignée de l’avis du Conseil
d’État (Conseil d’État, Note pour l’étude simplification relative au livre VI
du Code de commerce « Des difficultés des entreprises », 20 juin 2024, spéc. n°
30 et 31), et à surtout clarifier davantage la distinction entre responsabilité
pour insuffisance d’actif et faillite personnelle.
Bastien
Brignon
Directeur du master Ingénierie des sociétés Aix Marseille Université
Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence