DROIT

« La banque peut adopter des réflexes pour se prémunir contre les risques liés à la gestion des comptes de mineurs »

« La banque peut adopter des réflexes pour se prémunir contre les risques liés à la gestion des comptes de mineurs »
Publié le 30/06/2025 à 11:45

INTERVIEW. Dans un arrêt du 12 juin, la Cour de cassation a rappelé que la modification d’un compte ou livret ouvert au nom d’un mineur requiert l’accord des deux titulaires de l’autorité parentale. Une décision qui s’inscrit dans une double tendance jurisprudentielle, explique Pauline Baudu-Armand, avocate associée chez Garbarini & Associés. Car si la législation en vigueur est « a priori protectrice, sa mise en œuvre reste imparfaite, faute de dispositifs de contrôle et d’accompagnement adaptés », souligne-t-elle.

Dans un récent arrêt, la Cour de cassation vient de poser une limite claire au pouvoir d’un parent administrateur légal. Une décision marquante en matière de gestion du patrimoine des mineurs.

Les faits remontent à 2012. Un père divorcé, estimant agir dans son droit d’administrateur légal, avait ordonné à sa banque, le Crédit Mutuel, de prélever 15 000 € sur les livrets d’épargne de ses trois enfants mineurs pour les transférer vers le compte de son entreprise en difficulté. Informée, son ex-femme avait assigné la banque pour manquement à son devoir de vigilance.

Celle-ci avait rétorqué qu’elle n’avait fait qu’exécuter un ordre légal du représentant légal des enfants. Mais la cour d’appel avait condamné la banque en 2023, considérant qu'elle aurait dû soupçonner un détournement de fonds du fait de la nature commerciale du bénéficiaire.

Si deux ans après, la Cour de cassation donne elle aussi tort à la banque, dans sa décision, elle considère toutefois que le vrai problème n’est pas l’usage des fonds, mais le manque de pouvoir du père pour les retirer seul, et rappelle que la modification d’un compte ou livret ouvert au nom d’un mineur constitue un acte de disposition, qui requiert l’accord des deux titulaires de l’autorité parentale.

Le 12 juin, la banque est ainsi condamnée à rembourser les trois enfants pour avoir exécuté un ordre sans le double consentement requis.

JSS : Dans l’arrêt du 2 juin, la Cour de cassation vient rappeler que la modification d’un compte ou livret ouvert au nom d’un mineur requiert l’accord des deux titulaires de l’autorité parentale. Pourquoi ce rappel est-il important ; est-il fréquemment porté atteinte à cette règle ? Quels sont les risques ?

Pauline Baudu-Armand : Ce rappel est particulièrement important car l’autorité parentale conjointe est une notion que les parents n’appréhendent parfois pas correctement soit parce qu’ils ne la comprennent pas soit parce qu’ils n’entendent pas l’appliquer.

Effectivement, il est trop fréquemment porté atteinte à cette règle et cela peut conduire à des situations problématiques dans lesquelles l’autorité parentale de l’autre parent est niée et écartée.

Or, les atteintes à l’autorité parentale par l’un des parents sont sources de risques notamment - et c’est le cas dans l’arrêt rendu le 2 juin 2025 - en termes de préservation du patrimoine du mineur. Mais plus généralement, les atteintes à l’autorité parentale aggravent souvent un conflit parental déjà présent, ce qui a pour conséquence de nuire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

JSS : Pourquoi est-ce que le critère de l’usage détourné des fonds, pointé par la cour d’appel, n’est pas repris par la Cour de cassation ? Cela semble pourtant être un motif et un signal d’alerte importants…

P.B.-A. : La Cour de cassation s’emploie à poser une règle de principe plus générale : lorsqu’un acte de disposition est pris concernant un mineur, ce qui est le cas d’un transfert bancaire depuis des compte épargnes, celui-ci doit être fait avec l’accord des deux parents ou à défaut l’autorisation du juge des tutelles.

En ne vérifiant pas l’accord de l’autre parent, cet unique manquement engage la responsabilité, peu importe que les transferts bancaires par le père s’apparentent à des détournements.

En jugeant comme cela, la Cour de cassation rappelle ainsi aux établissements bancaires que l’accord des deux parents doit être sollicité et reçu et qu’à défaut, aucun transfert bancaire ne peut être réalisé.

JSS : Dans quelle tendance jurisprudentielle s’inscrit cette décision ? Même si la législation est déjà existante et a priori protectrice, quelles sont ses failles et comment ces dernières pourraient-elles être comblées ?

P.B.-A. : Cette décision s’inscrit dans une double tendance jurisprudentielle qui relève de deux domaines du droit différent. D’une part, du droit de la famille, qui tend à rappeler de manière plus ferme les règles en matière d’autorité parentale conjointe.

D’autre part, du droit bancaire et des obligations qui s’imposent aux établissements bancaires. En outre, cette décision s’inscrit également dans une volonté de renforcement du formalisme dans l’administration des biens des mineurs.

Ce positionnement vise à prévenir les dérives souvent observées dans des contextes familiaux conflictuels, en érigeant une règle claire : l’absence d’accord des deux parents suffit à caractériser un manquement engageant la responsabilité.

Cependant, cette approche révèle certaines lacunes dans le dispositif législatif actuel, notamment en ce qui concerne la prévention concrète de ces atteintes.

D’un point de vue pratique, les établissements bancaires ne disposent pas toujours d’outils fiables ou de procédures systématiques pour vérifier que les deux titulaires de l’autorité parentale ont bien donné leur accord, surtout en l’absence de contentieux ou d’alerte préalable.

Pour combler ces failles, plusieurs pistes pourraient être envisagées, par exemple instaurer un système d’alerte automatisé ou de blocage par défaut pour les opérations sensibles sur les comptes de mineurs qui ne pourrait être levé qu’avec le double accord parental ou une autorisation judiciaire.

Il faudrait également renforcer les obligations de vigilance des établissements bancaires, à l’image des dispositifs de lutte contre le blanchiment. La mise en place d’un protocole spécifique applicable aux comptes de mineurs en cas de divorce ou de séparation (mention au fichier FICOBA, signalement en cas de transfert vers un compte professionnel, etc.) permettrait quant à elle de déclencher une vérification renforcée de la licéité de l’opération.

Autre piste : améliorer la sensibilisation, l’information et l’accompagnement des parents, en rendant obligatoire un rappel des règles de gestion du patrimoine du mineur au moment de l’ouverture d’un compte ou livret.

En somme, si la législation en vigueur est a priori protectrice, sa mise en œuvre reste imparfaite, faute de dispositifs de contrôle et d’accompagnement adaptés à la complexité des situations familiales contemporaines.

JSS : Quels actes sont qualifiés d’actes de disposition dans la gestion du patrimoine des mineurs ? En cas de désaccord entre parents sur un acte de disposition, quelles sont les voies de recours possibles ?

P.B.-A. : La gestion du patrimoine des mineurs par leurs représentants légaux est régie par le Code civil, lequel opère une distinction entre les actes d’administration, correspondant à la gestion ordinaire, et les actes de disposition, qui ont une incidence plus importante et durable sur le patrimoine du mineur.

Parmi les actes de disposition expressément visés à l’article 387-1 du Code civil, sont mentionnés : contracter un emprunt au nom d’un mineur, vendre de gré à gré un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur ; apporter en société un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur ; contracter un emprunt au nom du mineur ; renoncer pour le mineur à un droit, transiger ou compromettre en son nom ; accepter purement et simplement une succession revenant au mineur ; acheter les biens du mineur, les prendre à bail ; constituer gratuitement une sûreté au nom du mineur pour garantir la dette d'un tiers ; procéder à la réalisation d'un acte portant sur des valeurs mobilières ou instruments financiers.

Bien que l’article 387-1 du Code civil dresse une liste indicative des actes de disposition les plus fréquemment rencontrés, la notion d’acte de disposition revêt une portée plus large. Elle englobe de manière générale tout acte susceptible d’altérer de façon significative la composition, la valeur ou l’affectation du patrimoine du mineur. Cette interprétation large est d’ailleurs confirmée par la jurisprudence, qui en précise les contours au cas par cas.

Ainsi, ont été qualifiés par la jurisprudence d’actes de disposition, la clôture d’un compte bancaire, la cession de parts sociales de SCI ou encore l’ouverture, la modification et la clôture de tout compte, livret et contrat d’assurance-vie au nom du mineur.

En cas de désaccord entre les parents, le Code civil institue des mécanismes de règlement et des voies de recours appropriées et notamment, la saisine du juge des tutelles qui sera compétent pour trancher le désaccord et autoriser ou refuser l’acte de disposition.

JSS : Quelle est l’étendue du devoir de vigilance des établissements bancaires dans les opérations impliquant les comptes de mineurs ? En dehors de ses obligations stricto sensu, quels bons réflexes une banque peut-elle adopter pour se prémunir quand il est question du patrimoine d’un mineur ?

P.B.-A. : La jurisprudence a précisé la portée du devoir de vigilance des établissements bancaires dans la gestion des comptes de mineurs, en distinguant le devoir de non-ingérence du devoir de vigilance en présence d’anomalies apparentes.

Le devoir de vigilance des établissements bancaires dans la gestion des comptes de mineurs s’inscrit dans les limites strictes imposées par le principe de non-ingérence.

Pour autant, il implique une responsabilité de détection et d’intervention en cas d’anomalies manifestes. Sans avoir à apprécier la pertinence des opérations réalisées, la banque doit cependant en contrôler la cohérence au regard de la situation du mineur et de ses représentants légaux.

Avant cet arrêt du 5 juin, la cour d’appel d’Angers a précisé, dans un arrêt du 5 décembre 2023, que les banques doivent veiller à ce que les opérations effectuées soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leurs clients.

L’obligation de vigilance de la banque à l’égard des comptes de mineurs se limite à la détection des anomalies apparentes, à savoir les opérations qui, par leur nature, leur fréquence, leur montant ou leur destination, ne peuvent échapper à un professionnel normalement diligent.

La banque est tenue à un devoir d’alerte si elle a connaissance d’actes ou d’omissions qui compromettent manifestement l’intérêt du mineur, malgré son devoir de non-immixtion. Au-delà de ses obligations légales, la banque peut adopter plusieurs réflexes pour se prémunir contre les risques liés à la gestion des comptes de mineurs.

Premièrement, il est recommandé de mettre en place un dispositif interne de détection des opérations atypiques, similaire l’exigence de vigilance constante en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Deuxièmement, la banque doit veiller à la cohérence des opérations avec le profil du mineur et de ses représentants légaux, en s’assurant que les actes de disposition importants sont conformes aux législations en vigueur.

Troisièmement, en cas de doute sur la régularité d’une opération, la banque doit activer son devoir d’alerte. Enfin, il est conseillé de former le personnel aux spécificités de la gestion des comptes de mineurs.

JSS : Quels autres types de contentieux similaires peut-on rencontrer dans les situations post-divorce ou de conflits parentaux ?

P.B.-A. : Dans les situations post-divorce ou de conflits parentaux, les contentieux liés au patrimoine des enfants mineurs ne sont qu’un aspect d’un ensemble plus large de litiges pouvant survenir entre parents séparés et notamment qui concernent souvent les décisions relatives à la vie quotidienne ou à l’éducation de l’enfant tel que l’inscription dans un établissement scolaire par exemple ou encore une décision médicale importante.

Propos recueillis par Bérengère Margaritelli

 

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