INTERVIEW. Dans un arrêt du
12 juin, la Cour de cassation a rappelé que la modification d’un compte ou
livret ouvert au nom d’un mineur requiert l’accord des deux titulaires de
l’autorité parentale. Une décision qui s’inscrit dans une double tendance
jurisprudentielle, explique Pauline Baudu-Armand, avocate associée chez
Garbarini & Associés. Car si la législation en vigueur est « a
priori protectrice, sa mise en œuvre reste imparfaite, faute de dispositifs de
contrôle et d’accompagnement adaptés », souligne-t-elle.
Dans un récent arrêt,
la Cour de cassation vient de poser une limite claire au pouvoir d’un parent
administrateur légal. Une décision marquante en matière de gestion du
patrimoine des mineurs.
Les faits remontent à 2012. Un
père divorcé, estimant agir dans son droit d’administrateur légal, avait
ordonné à sa banque, le Crédit Mutuel, de prélever 15 000 € sur les livrets d’épargne de ses trois
enfants mineurs pour les transférer vers le compte de son entreprise en
difficulté. Informée, son ex-femme avait assigné la banque pour manquement à
son devoir de vigilance.
Celle-ci avait rétorqué
qu’elle n’avait fait qu’exécuter un ordre légal du représentant légal des
enfants. Mais la cour d’appel avait condamné la banque en 2023, considérant
qu'elle aurait dû soupçonner un détournement de fonds du fait de la nature
commerciale du bénéficiaire.
Si deux ans après, la Cour de
cassation donne elle aussi tort à la banque, dans sa décision, elle considère
toutefois que le vrai problème n’est pas l’usage des fonds, mais le manque de
pouvoir du père pour les retirer seul, et rappelle que la modification d’un
compte ou livret ouvert au nom d’un mineur constitue un acte de disposition,
qui requiert l’accord des deux titulaires de l’autorité parentale.
Le 12 juin, la banque est
ainsi condamnée à rembourser les trois enfants pour avoir exécuté un ordre sans
le double consentement requis.
JSS : Dans l’arrêt du 2
juin, la Cour de cassation vient rappeler que la modification d’un compte ou
livret ouvert au nom d’un mineur requiert
l’accord des deux titulaires de l’autorité parentale. Pourquoi ce rappel est-il
important ; est-il fréquemment porté atteinte à cette règle ? Quels sont les
risques ?
Pauline Baudu-Armand : Ce
rappel est particulièrement important car l’autorité parentale conjointe est
une notion que les parents n’appréhendent parfois pas correctement soit parce
qu’ils ne la comprennent pas soit parce qu’ils n’entendent pas l’appliquer.
Effectivement, il est trop
fréquemment porté atteinte à cette règle et cela peut conduire à des situations
problématiques dans lesquelles l’autorité parentale de l’autre parent est niée
et écartée.
Or, les atteintes à
l’autorité parentale par l’un des parents sont sources de risques notamment -
et c’est le cas dans l’arrêt rendu le 2 juin 2025 - en termes de préservation
du patrimoine du mineur. Mais plus généralement, les atteintes à l’autorité
parentale aggravent souvent un conflit parental déjà présent, ce qui a pour conséquence
de nuire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
JSS : Pourquoi est-ce
que le critère de l’usage détourné des fonds, pointé par la cour d’appel, n’est
pas repris par la Cour de cassation ? Cela semble pourtant être un motif et un
signal d’alerte importants…
P.B.-A. : La
Cour de cassation s’emploie à poser une règle de principe plus générale :
lorsqu’un acte de disposition est pris concernant un mineur, ce qui est le cas
d’un transfert bancaire depuis des compte épargnes, celui-ci doit être fait
avec l’accord des deux parents ou à défaut l’autorisation du juge des tutelles.
En ne vérifiant pas l’accord
de l’autre parent, cet unique manquement engage la responsabilité, peu importe
que les transferts bancaires par le père s’apparentent à des détournements.
En jugeant comme cela, la
Cour de cassation rappelle ainsi aux établissements bancaires que l’accord des
deux parents doit être sollicité et reçu et qu’à défaut, aucun transfert
bancaire ne peut être réalisé.
JSS : Dans quelle
tendance jurisprudentielle s’inscrit cette décision ? Même si la législation
est déjà existante et a priori protectrice, quelles sont ses failles et comment
ces dernières pourraient-elles être comblées ?
P.B.-A. : Cette
décision s’inscrit dans une double tendance jurisprudentielle qui relève de
deux domaines du droit différent. D’une part, du droit de la famille, qui tend
à rappeler de manière plus ferme les règles en matière d’autorité parentale
conjointe.
D’autre part, du droit
bancaire et des obligations qui s’imposent aux établissements bancaires. En outre, cette décision s’inscrit également dans
une volonté de renforcement du formalisme dans l’administration des biens des
mineurs.
Ce
positionnement vise à prévenir les dérives souvent observées dans des contextes
familiaux conflictuels, en érigeant une règle claire : l’absence d’accord des
deux parents suffit à caractériser un manquement engageant la responsabilité.
Cependant,
cette approche révèle certaines lacunes dans le dispositif législatif actuel,
notamment en ce qui concerne la prévention concrète de ces atteintes.
D’un point de
vue pratique, les établissements bancaires ne disposent pas toujours d’outils
fiables ou de procédures systématiques pour vérifier que les deux titulaires de
l’autorité parentale ont bien donné leur accord, surtout en l’absence de
contentieux ou d’alerte préalable.
Pour combler
ces failles, plusieurs pistes pourraient être envisagées, par exemple instaurer
un système d’alerte automatisé ou de blocage par défaut pour les opérations
sensibles sur les comptes de mineurs qui ne pourrait être levé qu’avec le
double accord parental ou une autorisation judiciaire.
Il faudrait
également renforcer les obligations de vigilance des établissements bancaires,
à l’image des dispositifs de lutte contre le blanchiment. La mise en place d’un
protocole spécifique applicable aux comptes de mineurs en cas de divorce ou de
séparation (mention au fichier FICOBA, signalement en cas de transfert vers un
compte professionnel, etc.) permettrait quant à elle de déclencher une
vérification renforcée de la licéité de l’opération.
Autre piste :
améliorer la sensibilisation, l’information et l’accompagnement des parents, en
rendant obligatoire un rappel des règles de gestion du patrimoine du mineur au
moment de l’ouverture d’un compte ou livret.
En somme, si
la législation en vigueur est a priori protectrice, sa mise en œuvre reste
imparfaite, faute de dispositifs de contrôle et d’accompagnement adaptés à la
complexité des situations familiales contemporaines.
JSS : Quels
actes sont qualifiés d’actes de disposition dans la gestion du patrimoine des
mineurs ? En cas de désaccord entre parents sur un acte de disposition, quelles
sont les voies de recours possibles ?
P.B.-A. : La
gestion du patrimoine des mineurs par leurs représentants légaux est régie par
le Code civil, lequel opère une distinction entre les actes d’administration,
correspondant à la gestion ordinaire, et les actes de disposition, qui ont une
incidence plus importante et durable sur le patrimoine du mineur.
Parmi les actes de
disposition expressément visés à l’article 387-1 du Code civil, sont
mentionnés : contracter un emprunt au nom d’un mineur, vendre de gré à gré
un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur ; apporter en société
un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur ; contracter un
emprunt au nom du mineur ; renoncer pour le mineur à un droit, transiger ou
compromettre en son nom ; accepter purement et simplement une succession
revenant au mineur ; acheter les biens du mineur, les prendre à bail ; constituer
gratuitement une sûreté au nom du mineur pour garantir la dette d'un tiers ; procéder
à la réalisation d'un acte portant sur des valeurs mobilières ou instruments
financiers.
Bien que l’article 387-1 du
Code civil dresse une liste indicative des actes de disposition les plus
fréquemment rencontrés, la notion d’acte de disposition revêt une portée plus
large. Elle englobe de manière générale tout acte susceptible d’altérer de façon
significative la composition, la valeur ou l’affectation du patrimoine du
mineur. Cette interprétation large est d’ailleurs confirmée par la
jurisprudence, qui en précise les contours au cas par cas.
Ainsi, ont été qualifiés par
la jurisprudence d’actes de disposition, la clôture d’un compte bancaire, la
cession de parts sociales de SCI ou encore l’ouverture, la modification et la
clôture de tout compte, livret et contrat d’assurance-vie au nom du mineur.
En cas de désaccord entre les
parents, le Code civil institue des mécanismes de règlement et des voies de
recours appropriées et notamment, la saisine du juge des tutelles qui sera
compétent pour trancher le désaccord et autoriser ou refuser l’acte de
disposition.
JSS : Quelle est
l’étendue du devoir de vigilance des établissements bancaires dans les
opérations impliquant les comptes de mineurs ? En dehors de ses obligations
stricto sensu, quels bons réflexes une banque peut-elle adopter pour se
prémunir quand il est question du patrimoine d’un mineur ?
P.B.-A. : La
jurisprudence a précisé la portée du devoir de vigilance des établissements
bancaires dans la gestion des comptes de mineurs, en distinguant le devoir de
non-ingérence du devoir de vigilance en présence d’anomalies apparentes.
Le devoir de vigilance des
établissements bancaires dans la gestion des comptes de mineurs s’inscrit dans
les limites strictes imposées par le principe de non-ingérence.
Pour autant, il implique une
responsabilité de détection et d’intervention en cas d’anomalies manifestes.
Sans avoir à apprécier la pertinence des opérations réalisées, la banque doit
cependant en contrôler la cohérence au regard de la situation du mineur et de
ses représentants légaux.
Avant cet arrêt du 5 juin, la
cour d’appel d’Angers a précisé, dans un arrêt du 5 décembre 2023, que les
banques doivent veiller à ce que les opérations effectuées soient cohérentes
avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leurs clients.
L’obligation de vigilance de
la banque à l’égard des comptes de mineurs se limite à la détection des
anomalies apparentes, à savoir les opérations qui, par leur nature, leur
fréquence, leur montant ou leur destination, ne peuvent échapper à un
professionnel normalement diligent.
La banque est
tenue à un devoir d’alerte si elle a connaissance d’actes ou d’omissions qui
compromettent manifestement l’intérêt du mineur, malgré son devoir de
non-immixtion. Au-delà de ses obligations légales, la banque
peut adopter plusieurs réflexes pour se prémunir contre les risques liés à la
gestion des comptes de mineurs.
Premièrement, il est
recommandé de mettre en place un dispositif interne de détection des opérations
atypiques, similaire l’exigence de vigilance constante en matière de lutte
contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
Deuxièmement, la banque doit
veiller à la cohérence des opérations avec le profil du mineur et de ses
représentants légaux, en s’assurant que les actes de disposition importants
sont conformes aux législations en vigueur.
Troisièmement, en cas de
doute sur la régularité d’une opération, la banque doit activer son devoir
d’alerte. Enfin, il est conseillé de former le personnel aux spécificités de la
gestion des comptes de mineurs.
JSS : Quels autres types
de contentieux similaires peut-on rencontrer dans les situations post-divorce
ou de conflits parentaux ?
P.B.-A. : Dans les situations post-divorce ou de conflits
parentaux, les contentieux liés au patrimoine des enfants mineurs ne sont qu’un
aspect d’un ensemble plus large de litiges pouvant survenir entre parents
séparés et notamment qui concernent souvent les décisions relatives à la
vie quotidienne ou à l’éducation de l’enfant tel que l’inscription dans un
établissement scolaire par exemple ou encore une décision médicale importante.
Propos recueillis par Bérengère Margaritelli