SERIE (4/5). Yoann
Geny est du genre à vivre ses passions à fond. Pour donner plus de sens à son métier
de juriste, il s’est spécialisé dans un secteur qui lui tenait à cœur et où
tout restait à faire : l’économie sociale et solidaire. À 37 ans, il accompagne
près de 40 structures, principalement en Bretagne, sa région d’origine. Sur ses
jours de repos, pour décompresser, il s’adonne à son deuxième amour : la
voile. Le JSS l’a rencontré au port de Kernevel (Larmor Plage), à
quelques jours de boucler trois semaines de navigation au large de la côte
morbihannaise.
Ordinateur
fermé, téléphone coupé la plupart du temps… Quand Yoann Geny est en vacances,
le joindre n’est pas une mince affaire. Et pour cause, ce juriste qui a fait
des structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) sa spécialité passe
l’essentiel de ses jours de repos en mer. Voilà un peu plus de deux semaines
qu’il parcourt la côte morbihannaise avec son ami Sydney Debray à bord de l’Eh
Tack, un petit voilier de 28 pieds (9 mètres de longueur environ).
Yoann
Geny nous a finalement donné rendez-vous au port de plaisance de Kernevel, où
son voilier est accosté depuis deux jours. Ce mercredi 20 août, à 8h30, une légère
bruine s’abat sur Larmor Plage. Depuis le parking, on devine l’odeur de soufre
dégagé par les algues vertes échouées à 500 mètres de là, direction Lorient. Vêtu
d’une salopette grise et d’une veste imperméable, Yoann Geny semble prêt à
prendre la mer à tout moment. À midi, lui et son ami Sydney Debray partiront
pour l’île de Groix. Une traversée de deux heures à la voile et la promesse
d’une belle après-midi de pêche. « Mais d’ici-là, on a le temps de
faire un petit tour ! », propose le juriste. Pari tenu,
l’interview se déroulera en partie en mer.
Après
quelques pas sur les pontons humides, Yoann Geny montre du doigt un petit
voilier à coque bleue. L’Eh Tack est un Shipman 28, modèle de bateau de
construction suédoise populaire dans les années 1970. Dominé par un mat de 12
mètres de hauteur, il abrite une petite cabine de 5m2 environ. C’est
à l’intérieur que le juriste dort depuis un peu plus de deux semaines, en
compagnie de son ami et de son chat roux, Malo. « En général, il est
malade le premier jour, mais après ça va », glisse Yoann Geny. Comme
son maître, Malo n’est pas un marin d’eau douce.
« Quand
tu es en mer, tu ne peux rien faire d’autre que profiter du moment »
Le
temps d’enfiler une veste, le juriste-marin nous dicte les règles de sécurité.
Gilet de sauvetage obligatoire, et attention à la bôme de la grande voile, qui
peut brutalement basculer de bâbord à tribord. « Beaucoup de marins ont
été assommés comme ça », prévient-il. Pour sortir de la zone portuaire,
Yoann Geny actionne le moteur. Une fois au large de Port Louis, après une
dizaine de minutes à remonter la rade de Lorient, il peut enfin débrancher. Il quitte
la barre quelques secondes seulement, le temps de positionner la petite
manivelle à l’entrée de la cabine sur « off ». Plus un bruit, si ce
n’est celui du vent dans les voiles déjà tirées. « Ça fait du bien de
couper le moteur, pas vrai ? »
On
pourrait presque y voir une allusion à sa vie professionnelle. À 37 ans, il
faut dire que Yoann Geny a eu le temps de se forger un sacré CV. En 2011, alors
qu’il s’apprête à terminer sa licence de droit à l’université de Rennes, il
fonde avec des amis l’association la Bidouillerie, qu’il
coprésidera pendant six ans et qui sera à l’origine des premières colonies de
vacances écoresponsables et citoyennes à
Belle-Île.
Nourri
par cette expérience, il devient directeur de transition pour des associations d'éducation
populaire en difficulté. Mais élaborer des plans de redressement n’est pas
vraiment sa tasse de thé. « J’avais envie de réinventer mon métier de
juriste qui, à vrai dire, ne me faisait pas trop vibrer », confie
Yoann Geny. Déjà diplômé d’un master en droit de l’environnement, le Breton se réinscrit
à l’université de Rennes pour passer un diplôme de dirigeant d’entreprise de
l’économie sociale et solidaire. « J’avais envie de devenir un des
premiers juristes français consacré à 100 % à l’ESS. Cette catégorie juridique
n’existe pas. Il y a tout à inventer, et c’est passionnant », sourit-il.
Deuxième
master en poche, Yoann Geny rejoint Finacoop, « la première société
coopérative d'intérêt collectif (SCIC) d'expertise comptable exclusivement
dédiée aux acteurs de l’ESS » en 2019, en qualité de
responsable juridique. Il entame en parallèle un troisième diplôme en
droit des affaires. Puis un doctorat portant sur « la SCIC comme idéal
type l'entreprise de l’ESS », en 2020.
Si cette
thèse n’est pas encore finalisée – « c’est pour bientôt » –
Yoann Geny a pris son envol en 2024 en montant d’abord un collectif bénévole, les
Juristes Engagés, qui a donné naissance à une structure coopérative aujourd’hui
devenue son activité principale. Avec les « Engagés », lui et son
associée Marie Frostin accompagnent déjà près de 40 structures principalement
bretonnes et actrices de l'ESS dans des secteurs variés (tiers-lieux,
coopératives maraîchères, soins thérapeutiques ou encore un média indépendant).
Leur point commun ? « L’utilité sociale », la boussole
que Yoann Geny, en bon marin, s’efforce de suivre depuis toutes ces années.
Dans
ce riche parcours, la voile prend des allures d’échappatoire. Une manière,
aussi, de contenir un trait d’hyperactivité que Yoann Geny reconnaît sans mal. « Je
crois que j’ai peur de vivre ma vie et de ne pas avoir le temps de tout
découvrir », explique-t-il quand on le questionne sur sa propension à
se toujours se lancer dans de nouveaux projets. À la barre d’un bateau, au
moins, le juriste arrive à faire le vide. « Quand tu es en mer, tu ne
peux rien faire d’autre. La plupart du temps
tu es coupé du monde extérieur. Les conditions t'imposent de profiter du
moment », pointe le natif de Brest, où il a découvert la navigation
dès le plus jeune âge.
Fils
d’un sous-marinier, Finistérien, Yoann Geny était en quelque sorte prédestiné à
aimer l’océan. Cela n’a pas manqué. « Quand j’étais petit, j’ai fait
beaucoup de stages de voile. Il y a un centre nautique militaire à Brest. On y
allait tous les mercredis, c’est là que j’ai tout appris. »
Des
projets associatifs pour rendre la navigation accessible à tous
Optimist,
Catamaran, Laser… Au fil des années, le jeune homme touche à tout et développe
une passion qui ne le quittera jamais. « J’ai toujours eu de grands
rêves de navigation. J’aimerai parcourir le monde. Et comme, depuis l’enfance,
je suis soucieux de ne pas impacter l’environnement, je trouve que la voile est
une excellente solution pour voyager de manière responsable. Il faut savoir
gérer son eau, sa nourriture… On peut
installer des panneaux solaires, des éoliennes pour être autonome
énergétiquement. C’est une forme de simplicité obligatoire », acquiesce le juriste.
Engagé pour ce qui compte à ses yeux, Yoann
Geny rejoint une association bretonne de mutualisation de voiliers, Voiles
Vagabondes, en 2021. « L'objet de
cette structure est de récupérer les bateaux laissés à l’abandon, de les
retaper et de permettre à nos adhérents de pouvoir les emprunter tout au long
de l'année avec des tarifs très accessibles », glisse le marin, devenu en quelques mois seulement
président de l’association. Il prend depuis ce rôle très à cœur. « Sur
les ports, il y a des milliers de bateaux abandonnés. La plupart des propriétaires
les utilisent très peu. Un bateau sur deux n’a pas été en mer depuis plus d’un
an. Souvent, des gens héritent d’un voilier dont ils ne peuvent plus s’occuper.
Généralement, on les récupère comme ça. Ce sont des dons. » La
passerelle avec le secteur de l’ESS est toute faite. Yoann Geny n’est plus
seulement juriste, il est acteur à son échelle.
Mais attention, malgré ses « quelques
chantiers dans l’année », Voiles Vagabondes n’a
pas vocation à devenir une industrie de réhabilitation de bateaux. D’autres
structures, comme Passe-Coque, dans le Morbihan, le font très bien. L’Eh Tack,
le bateau sur lequel Yoann Geny, Sydney Debray et Malo naviguent cet été leur a
d’ailleurs été mis à disposition par cette même association, qui l’a remis à
neuf principalement avec des pièces en bois. « Bien entretenu, ce genre
de bateau peut tenir une bonne cinquantaine d’années », assure le
juriste.

Pour Yoann Geny, la principale raison de vivre
de Voiles Vagabondes est de rendre la mer accessible à tous les publics. « Il faut bien avouer que c’est un sport de
riche. Sans parler du prix d’un bateau, il faut avoir des moyens pour
s’inscrire à un stage de voile. » Alors, la dizaine d’adhérents de l’association
- principalement des proches de Yoann Geny - s’engage à « initier ceux
qui n’ont jamais navigué » pour la modique somme de 10 euros la
journée.
Parmi eux, son compère Sydney
Debray. Ce natif de la région parisienne rêvait de découvrir la voile, il y a
trois ans, lorsqu’il s’est installé en Bretagne. Le hasard faisant parfois bien
les choses, il s’est engagé bénévolement auprès d’une association de musique
rennaise… accompagnée juridiquement par Yoann Geny. Le Finistérien et le Francilien
se sont donc rencontrés en septembre 2023. Deux ans plus tard, Sydney Debray s’apprête
à devenir le premier employé de Voiles Vagabondes en tant
qu’animateur-coordinateur. « Et ce sera certainement le seul car on
veut rester une petite asso, à taille humaine », sourit le juriste.
Avec la création de ce poste, les deux amis souhaitent toutefois réussir à
développer la structure pour organiser « un ou deux évènements à
l’année », espère Sydney Debray.
Mais pour l’heure, la priorité est de savourer les derniers moments de leur escapade
estivale. « Ce sont des vacances sportives. Pendant trois semaines, tu
as des courbatures partout », s’amuse le juriste. Si le corps a
travaillé, la tête, elle, a eu le temps de se vider. Les batteries bien
rechargées, Yoann Geny ne va pas tarder à rouvrir l’ordinateur. La mer attendra
sans doute un week-end de septembre.
Elliott Bureau