Après des niveaux
historiquement bas durant le Covid, les défaillances d’entreprises sont
reparties à la hausse en France jusqu’à atteindre des niveaux extrêmement
élevés. Plusieurs causes expliquent cette hausse.
63 095 défaillances
d’entreprises entre août 2023 et juillet 2024, soit une hausse de 6,3% par
rapport à la moyenne 2010-2019. Ce sont les derniers chiffres de la Banque de
France. D’autres instituts donnent des résultats plus alarmistes (les chiffres
varient un peu, notamment en raison de méthodologies différentes*) : BPCE
indique que le niveau entre juillet 2023 et juin 2024 est supérieur de 21 % à
2019. Plusieurs experts avancent la possibilité d’atteindre les 65 000 en
2024.
Après une moyenne annuelle de
50 000 à 59 000 entre 2010 et 2019, les défaillances s’écroulent au
moment de la crise Covid, avec 32 000 en 2020, 28 000 en 2021, selon le CNAJMJ,
le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires.
Un paradoxe ? Pas vraiment. Car avec sa stratégie du « quoi qu’il en
coûte », le gouvernement dépense des centaines de milliards d’euros pour
empêcher l’économie de s’effondrer : prêt garanti par l’Etat (PGE), fonds
de solidarité, financement des coûts fixes, report du paiement des cotisations
sociales… De plus, rappelle Thierry Millon, directeur des études d’Altarès, le
gouvernement publie des textes qui permettent « aux entreprises de
continuer de tourner, même si elles sont virtuellement en cessation de paiement » :
les Urssaf, qui représentent la majorité des 30 % de procédures ouvertes par un
créancier, n’assignent plus au tribunal.
Mais les aides s’estompent en
même temps que les restrictions sanitaires. En 2022, les défaillances
d’entreprise repartent à la hausse, pour atteindre plus de 40 000, et 56 000
- 57000 en 2023. Julien Laugier, économiste du groupe bancaire BPCE, note
« l'aggravation de la situation au cours des derniers trimestres ». « Au
deuxième trimestre 2024, nous dénombrons 16405 défaillances d'entreprise, c'est
le pire deuxième trimestre depuis au moins 15 ans. Cela fait suite à un
quatrième trimestre 2023 et un premier trimestre 2024 qui étaient aussi à des
niveaux historiquement élevés ». Cependant, nuance Thierry Millon,
« ces 16000 défauts ne sont ni extraordinairement élevés ni surtout inattendus.
Nous avons dans notre économie des épisodes de crise qui ont été comparables :
subprimes, dette souveraine… ».
Un
rattrapage de la période Covid ?
Cette hausse est souvent
présentée comme un « rattrapage » de la période Covid : un
certain nombre d’entreprises qui auraient dû s’effondrer mais ont été soutenues
durant cette période finiraient par faire défaut.
Quel devrait alors être le
niveau de ce rattrapage ? Les avis divergent un peu, et il est impossible
de le chiffrer précisément. Pour beaucoup, c’est simplement le nombre de
défaillances en 2019, ou la moyenne des dernières années, diminuée du nombre de
défauts effectifs. Mais c’est une extrapolation. Thierry Millon estime à
environ 50 000 le nombre d’entreprises qui seraient tombées en temps
normal et n’ont pas fait défaut durant la crise. « On en aurait eu
beaucoup plus sans les aides évidemment. Durant les périodes de crise, nous
étions sur des pics de défauts annuels de 65000 ».
Les entreprises doivent
ensuite rembourser leur PGE (800 000 prêts accordés, pour un encours total de
145 milliards d’euros). Le fonds de solidarité s’arrête, les facilités de
paiement des Urssaf cessent : pendant la crise, ces derniers ont permis de
reporter des échéances, parfois supprimé des paiements de cotisation sociales.
Beaucoup d’entreprises signent des moratoires fin 2021, pour rééchelonner leurs
paiements, souvent sur deux ans. Comme « l’activité n’est pas encore
revenue et qu’on n’est pas encore sorti de la crise sanitaire, les entreprises
choisissent plutôt un remboursement progressif : elles payent peu lors de
la signature et augmentent le montant du remboursement au fil des mois »,
rapporte Thierry Millon.
Mais des difficultés
conjoncturelles arrivent courant 2022. Des échéances sont donc de nouveau
décalées. Si la majorité des entreprises remboursent, fin 2023, à l’approche de
l’échéances des moratoires, des difficultés persistent. « Les Urssaf
considèrent que l'entreprise n'aura plus le temps de renverser sa position pour
rembourser ce qu'elle doit. Ils décident alors d'assigner les débiteurs en
incapacité d'honorer le moratoire », raconte le directeur des études d’Altarès,
pour qui, comme pour le CNAJMJ, ces assignations ont constitué une partie
importante et prévisible de la hausse des défaillances en 2023 et début 2024. Thierry
Millon souligne la logique de reprendre les recouvrements, pour éviter une
concurrence déloyale de certaines entreprises bénéficiant de moratoires, qui en
profiteraient pour casser les prix, ce qui peut alors mettre en difficulté des
entreprises saines.
Le débat aujourd’hui est de
savoir si ce rattrapage est toujours en cours. La réponse varie selon les
intervenants, mais également selon les secteurs. « Globalement, le
rattrapage était consommé fin 2023 », estime Anthony Morlet-Lavidalie,
économiste chez Rexecode. Pour Alain Tourdjman, directeur des études économiques du groupe BPCE, « 22 % des défaillances
évitées en 2022 se sont manifestées depuis 2023, mais pour les seules PME et
ETI c'est 93 %, et même plus de 100 % pour les grosses PME et ETI ».
Pour les TPE de six à neuf salariés, il serait effectué à 62 %, et à 31 % pour
celles de trois à cinq salariés. Selon Julien Laugier, le rattrapage ne sera de
toute façon pas total pour les très petites entreprises, qui ont bénéficié de
subventions.
Mais François Desprat,
président du CNAJMJ, voit que le rattrapage s’opère encore, notamment pour les
entreprises qui n’arrivent plus à faire face à leurs dettes Urssaf. La Banque
de France estime également le rattrapage encore en cours.
Les prêts garantis par l’Etat
ont aussi été pointés comme accélérant les défaillances. Souvent utilisés pour
renflouer la trésorerie, ils ne produisent aucun retour sur investissement.
Environ 4 % des entreprises craignent de ne pas réussir à le rembourser,
chiffre stable depuis son octroi. « Le taux de défaut sur les PGE est
de 0,5% sur les grandes entreprises, 1,9% pour les ETI, 2,4% pour les PME, 4,3%
sur les micro-entreprises », détaille Thierry Millon. Globalement, les
experts s’accordent à dire que le PGE n’a pas été octroyé à des entreprises
structurellement insolvables. Et Emilie Quema, directrice des entreprises au
sein de la Banque de France, rappelle que 20 % des prêts ont été remboursés en
totalité, et 60 % du montant total dû. « Et on n’observe pas de hausse
des saisines de la médiation du crédit pour restructurer les PGE ».
Globalement, le PGE ajoute
une difficulté mais n’est pas une cause de défaillance. « Du fait du
PGE, nos adhérents rencontrent plus de difficultés à obtenir des crédits, de
trésorerie ou d'investissement puisqu’ils doivent d’abord rembourser ceux
existants, témoigne Jean-Guilhem Daré, délégué général du syndicat des
indépendants, SDI, qui rassemble les dirigeants de TPE. Mais aujourd’hui, ce
remboursement est intégré ». Il regrette cependant les difficultés
pour renégocier son PGE en cas de difficulté, soit au taux d’intérêt actuel,
beaucoup moins favorable.
Du côté de Bpifrance,
Baptiste Thornary analyse que « le PGE est devenu un élément
minoritaire de l’endettement des entreprises. Cela amène un arbitrage, mais
comme d'autres dettes. Certaines entreprises ont utilisé immédiatement ce
matelas de cash, mais pas la majorité, donc en réalité le remboursement à réaliser
était inférieur à l'emprunt. Une partie est restée dans la trésorerie, donc en
placement. Et la trésorerie a donc aussi bénéficié de la hausse des taux
d'intérêt ».
Une
différence de taille
Outre des différences
sectorielles**, la taille a un impact sur le risque de défaillance. En
volume, les toutes petites entreprises sont les plus touchées – logique,
puisqu’elles représentent l’écrasante majorité du tissu économique français.
Mais dernièrement, la
proportion des entreprises plus grosses dans les défaillances augmente. « C'est peut-être la statistique la
plus inquiétante, que nous n’avons pas connue depuis un moment, reconnait
François Desprat. Cela démontre que l’économie est un peu en
souffrance ». BPCE note par exemple un niveau très élevé de
défaillances des PME et ETI, 56 % supérieur à 2019. Mais aussi un début de
stabilisation.
Alain Tourdjman estime que le coût élevé du travail « explique
probablement en partie les difficultés des entreprises employeuses, pour qui il
y a un problème spécifique ». Pour Thierry Millon, les PME de 20 à 150
salariés sont « trop petites ou trop grandes », moins agiles
que des TPE, mais pas assez grandes pour rivaliser dans des appels d’offre.
Julien Laugier note que comme
ces entreprises sont plus grosses, cela a « un impact sur l’emploi
beaucoup plus important : 264 000 emplois menacés sur les 12 derniers
mois, c'est 40 % de plus qu'en 2019. De plus, ces entreprises ont une
importance très forte dans l'écosystème local », leur défaillance peut
donc affecter leurs fournisseurs, leurs clients… encore plus pour les grandes
entreprises, dont le défaut a un impact important sur l’économie, malgré leur
nombre limité.
Pourtant, Baptiste Thornary,
responsable des études macroéconomiques et évaluation d'impact chez Bpifrance,
note que « le marché du travail ne connait pas une destruction
d'emplois massives, ce qu'on voyait par exemple entre 2012 et 2015 ».
François Desprat observe dans les départements où il officie comme mandataire
judiciaire, l’Ain et la Haute-Savoie, que la majeure partie des dépôts de bilan
viennent de petites entreprises « qui, pour une partie d’entre elles,
n’ont plus de salariés, plus d’activité. Ces dossiers n’ont pas d’impact sur le
tissu économique et l’emploi ». Le CNAJMJ enregistre « 34 000
défaillances au premier semestre qui touchent 120 000 emplois, contre
habituellement 50-55 000 défaillances annuelles correspondant à environ
200 000 emplois. Il n’y a donc pas une explosion des emplois touchés. Il
faut tempérer l'inquiétude que peut susciter la hausse considérable du nombre
de défaillances ».
Manque
d’accompagnement et d’anticipation
En revanche, un point est unanimement
pointé comme problématique : le manque d’accompagnement. Il existe de
nombreux dispositifs et organismes pour aider les entreprises en difficulté
financière. Aller au tribunal de commerce peut tout à fait s’envisager avant
d’être en cessation de paiement, pour entrer dans une procédure amiable (mandat
ad hoc, conciliation) ou une procédure de sauvegarde. Mais beaucoup
d’entrepreneurs n’anticipent pas. Parce qu’ils ne sont pas suffisamment
accompagnés, ils pèchent par excès d’optimisme et pensent toujours qu’ils vont
s’en sortir. Le tribunal de commerce est encore souvent vécu comme un échec***,
et les entrepreneurs ne sont pas toujours au courant des procédures en amont du
redressement judiciaire.
Or, les experts sont
unanimes : plus les entrepreneurs prennent conscience tôt de leurs
difficultés et engagent des actions en amont, plus ils ont de chance de sauver
leur entreprise. Plus ils attendent, plus ils courent le risque de n’avoir
d’autre choix que la liquidation judiciaire sèche.
De plus, aujourd’hui
n’importe qui peut lancer une entreprise, sans capital. Mais tous les
néo-entrepreneurs ne suivent pas forcément les formations qui leur
permettraient de savoir la gérer. Résultat, une sur deux ne passe pas le cap
des trois ans. « On se félicite excessivement des créations
d'entreprises, déplore Thierry Millon. Il faut arrêter de s’en réjouir
tant qu’il y aura des taux d’échec aussi élevés ». L’expert regrette
« les messages incitant à créer des entreprises en disant qu’un euro
suffit. Je ne suis pas convaincu que ce soit le meilleur langage pour faire
prendre conscience qu’il faut des capitaux pour tenir et grandir ».
D’autres experts le rejoignent sur le fait que laisser créer des entreprises
sans capital ni accompagnement augmente in fine le risque de défaillances
d’entrepreneurs mal préparés.
Une conjoncture
dégradée
La conjoncture joue également
un rôle important dans la hausse des défaillances. Quand la France sort des
restrictions covid, l’inflation commence à accélérer, jusqu’à atteindre des
niveaux très hauts, sur les produits de grande consommation comme les matières
premières. S’y ajoutent la guerre en Ukraine, les pénuries, des hausses de
salaire…. Et des taux d’intérêt. Les entreprises subissent donc un « effet
ciseaux » entre hausse de leurs dépenses et baisse de leurs revenus, liée
à une baisse de la demande, de par un moindre pouvoir d’achat, et à un
ralentissement global de l’économie (0,8 % de croissance prévu en 2024 par la
Banque de France).
Certains, notamment à Bpifrance
et la Banque de France, pointent aussi le fait que le nombre de créations
d’entreprises augmentant depuis plusieurs années (un million en plus par an),
le nombre de défaillances augmente mathématiquement.
Mais Alain Tourdjman estime
de son côté que « pour l’essentiel, l’accélération des
défaillances ne se fait pas sur les structures les plus récentes, mais au
contraire sur celles qui ont plus de six ans. La part des néo-entreprises en
défaut est extrêmement limitée et s’est réduite au cours des dernières années. Par
ailleurs, les créations d’entreprises sont essentiellement des structures sans
salariés, voire créées en parallèle d’une activité salariée. Beaucoup ne font
pas défaut mais ferment purement ». Néanmoins, Emilie Quema juge que
« celles qui ont émergé pendant le COVID connaissent quand même des
défaillances. Il va falloir distinguer les structures plus traditionnelles, et
celle qui se sont créées sans aucun capital, où les défaillances peuvent
arriver plus tôt ».
Certaines explications sont
plus structurelles et concernent la modification du paysage économique : le
textile, qui fait face à un changement des modes de consommations, l’automobile,
qui connait de fortes évolutions, le commerce, la restauration… Pour Emilie Quema, « les entreprises
sont face à des enjeux de transition climatique et numérique. Certaines sont
plus armées que d'autres, il faut les investissements nécessaires ».
Des problèmes
de financement ?
Certains pointent un manque
de trésorerie chez les entreprises françaises, qui peut accélérer une
défaillance. « Cela fait des mois que nous tirons la sonnette d’alarme,
assure Jean-Guilhem Daré. La trésorerie, c’est le talon d’Achille des TPE ».
« La trésorerie se tend, confirme Anthony Morlet-Lavidalie. Post
COVID, les entreprises ont été gavées de liquidités. Cela s’est érodé notamment
après le passage de l'inflation ». Le groupe BPCE note que celle-ci
fragilise aussi les marges des TPE-PME. Au contraire, à Bpifrance, Baptiste
Thornary voit dans « la dernière étude de la Banque de France auprès de
plus d’un million d’entreprises, qui s’arrête fin 2023, que le niveau de
trésorerie est supérieur à celui d’avant-crise ».
Si les délais de paiement
sont parfois cités comme une cause de défaillance, les experts nuancent
beaucoup. Altarès a travaillé sur la question avec l’Université de Strasbourg,
pour une étude qui conclut que « les retards de paiement ont un effet
accélérateur sur la faillite mais ne la provoquent pas ». Jean-Guilhem
Daré imagine un recouvrement automatique des pénalités de retard par
l’administration fiscale, car les petites entreprises les demandent rarement
pour ne pas se fâcher avec leurs clients. « Le retard de paiement,
c'est 15 milliards d'euros de trésorerie en moins pour les PME, confirme
Emilie Quema. Nous menons une action de sensibilisation. Les défaillances
surviennent d'abord parce que la structure financière est dégradée. Une étude a
calculé que celle-ci multiplie la probabilité de défaillance par quatre. Mais
quand on regarde les entreprises défaillantes, on pense que le délai de
paiement a aggravé la situation dans environ un cas sur dix ».
Autre sujet de
discussion : le niveau des fonds propres de l’entreprise, c’est-à-dire les
capitaux dont elle dispose. François Desprat observe un manque de fonds propres
des petites structures, car elles peuvent se lancer sans capital, ce qui de surcroit
ne rassure pas les potentiels créanciers, notamment les établissements
financiers. S’il estime que « le financement de l’exploitation est
globalement un vrai sujet », au contraire, Bpifrance et Banque de France
soulignent un niveau de fonds propres globalement satisfaisant et la solidité
du bilan financier des entreprises françaises.
Une solidité renforcée par
une hausse des fonds propres plus rapide que celle du niveau de dette, diminuant
le taux de dettes par rapport aux fonds propres. Julien Laugier y voit « une
stratégie de consolidation financière, probablement aussi au détriment
d'une stratégie de croissance », Alain Tourdjman, la tentative de
« compenser la fragilité de leur rentabilité économique par une très
forte stabilité financière ».
Si certains voient une faible
dette comme un signal positif, car cela renforce la stabilité financière, pour
l’économiste de BPCE, c’est le signe que les entreprises n’investissent pas
assez. « Cela ne permet pas de saisir toutes les opportunités de
croissance ». Julien Laugier assure que « la croissance de
l'endettement au cours des quinze dernières années se concentre essentiellement
sur les grandes entreprises. Or, ces dernières années, un peu moins maintenant,
on avait observé une forte croissance du rapport entre la dette et la valeur
ajoutée ». Moins de dette, ce pourrait donc être moins de croissance, et
donc un risque accru de défaillances.
Emilie Quema relativise.
« Parfois, c'est positif d'avoir un taux d'endettement bas. C'est
plutôt rassurant. Mais dans d'autres secteurs ou entreprises, cela peut dénoter
un manque ou un retard d'investissement. Dans le cycle de vie d'une entreprise,
il faut réinvestir pour se remettre à niveau. Il est donc normal d'avoir des
taux d'endettement plus élevés lorsqu’on fait les bons investissements. Mais
nous ne pensons pas qu'il y ait un sous-investissement. La dynamique de la
dette augmente au global, on accorde du crédit ».
L’investissement, « nouvelle variable
d’ajustement »
Mais pour Anthony
Morlet-Lavidalie, « l'investissement est maintenant la variable
d'ajustement. Les investissements productifs stagnent depuis fin 2023 ». Pour
lui, « la recherche et développement décroche en Europe par rapport au
reste du monde », et la France sous-investit, notamment dans son
capital productif, moins abondant et de moins bonne qualité. Ajouté à « un
coût du travail élevé, cela plombe la compétitivité ». Or, moins
d’investissement, cela risque d’aboutir à moins d’innovation, un décrochage par
rapport aux concurrents… et donc à un risque accru de défaillance.
L’incertitude politique est
aussi citée comme motif de report de l’investissement des entreprises, ce qui,
à terme, pourrait peser dans la balance. « Une majorité de nos
adhérents dit qu’elle va bloquer les investissements car elle ne sait pas où on
va », confirme Jean-Guilhem Daré. Selon le SDI, les TPE ont aussi
tendance à moins investir pour pouvoir faire face à leur PGE. Or, un moindre
investissement, c’est aussi une moindre demande.
L’investissement est
compliqué conjoncturellement par la hausse des taux d’intérêt : une
entreprise pouvait emprunter à 1,5 % début 2022, contre plus de 4 %
aujourd’hui. Pourtant, assure Emilie Quema, « malgré la hausse du coût
du crédit, le stock de l'encours et la demande continuent d'augmenter, il n'y a
pas eu d'arrêt d'accès au crédit. Le crédit de trésorerie est en recul,
l'investissement est demeuré très dynamique, que ce soit par l’émission de dette
ou le crédit bancaire. Le taux d'obtention des crédits est à un niveau très
élevé pour les PME et les ETI, au-delà de 95 %. Les entreprises qui ont besoin
d'un crédit y ont accès. À des taux plus élevés, mais c'est à relativiser. Une
des forces du système de financement en France, c’est que les emprunts ont une
maturité assez longue et des taux fixes. Ce qui est rare. Le ratio entre la
charge des intérêts nets et la valeur ajoutée était en 2023 inférieur au niveau
d'avant crise, donc proportionnellement les entreprises n’ont pas plus de
charge d'intérêt à rembourser qu’avant la crise COVID, c'est un facteur de
solidité des entreprises ».
Selon Anthony
Morlet-Lavidalie, un scénario pessimiste de 70 000 défaillances « aurait
des conséquences sur le poids du crédit dans le bilan bancaire, même si pour
l'instant, les banques et assurances ne sont pas en panique. Le poids du crédit
des entreprises défaillantes est à un niveau historiquement élevé dans le bilan ».
Mais Emilie Quema relativise : « Le système bancaire est bien
capitalisé, et les banques s’assurent d’avoir davantage de fonds propres face à
un crédit risqué. », et la hausse de l’encours des entreprises défaillantes
est due à un tout petit nombre d’entreprises.
Difficile de prévoir
exactement comment vont évoluer les défaillances. Pour Anthony
Morlet-Lavidalie, « purger les secteurs moins productifs permet de
réallouer le capital. Les défaillances ne sont pas une mauvaise chose en soi,
ça fait partie de la vie et l'activité économique. La question est, est-ce
que c'est en train de détruire le tissu pérenne ? À ce stade, ce n'est pas ce
qui se voit. Il n'y a pas de raison de s'alarmer mais il faut rester vigilant.
Ce serait rassurant de voir une inflexion dans la seconde moitié de 2024 ».
Julien Laugier ne voit pas
venir « un tsunami, mais plutôt une marée haute jusqu’à fin 2024,
voire en 2025 ». Plusieurs experts se disent « prudemment
optimistes », mais restent vigilants sur les nombreux facteurs qui
pourraient influencer le nombre de défaillances dans les trimestres à venir.
Aude
David
*
voir encadré
**
voir le 4e article de notre
dossier
***
voir le 2e article de notre dossier
Comment
sont comparées les défaillances ?
D’un
organisme à l’autre, les chiffres de défaillances varient un peu.
Premièrement, tous n’en donnent pas la même définition : la Banque de France
compte les liquidations judiciaires et redressements judiciaires, alors que d’autres
comptent aussi les procédures de sauvegarde, procédures collectives publiques
et contraignantes. Mais elles ne concernent que les entreprises qui ne sont
pas en cessation de paiement, donc techniquement pas en défaillance.
Les
liquidations judiciaires ne sont indiquées comme telles que lorsqu’elles sont
directes. Un redressement judiciaire débouchant sur une liquidation n’est
comptabilisé qu’une fois, en tant que redressement. En revanche, s’il aboutit
à un plan de continuation qui fait l’objet d’une résolution, et qu’ensuite
l’entreprise connait une liquidation judiciaire, celle-ci sera aussi comptabilisée.
Par
ailleurs, le CNAJMJ, Conseil national des administrateurs et mandataires
judiciaires, se targue d’avoir la source la plus fiable et exhaustive,
puisqu’il récupère automatiquement les données des logiciels métiers des
administrateurs et mandataires judiciaires.
Une
grosse différence est la période observée (souvent multiple dans une même
étude) : données mensuelles, trimestrielles, semestrielles, annuelles,
glissement sur douze mois. Une durée courte est justifiée par un suivi
réactif de l’évolution des défaillances. Au contraire, les suivis sur douze
mois sont présentés comme plus parlants, au motif que les variations
saisonnières ne disent rien des tendances durables.
Les
points de comparaison diffèrent également : année précédente (Altarès), 2019
(BPCE), moyenne 2018-2019 (le CNAJMJ) ou 2010-2019 (la Banque de France, qui
après avoir comparé un certain temps sur 2019, considère plus pertinent
économiquement de prendre une moyenne et non une seule année comme point de
référence).
Les
mois, trimestres ou semestres sont généralement comparés à la période de
l’année correspondante (mai 2024 par rapport à mai 2023). Altarès met en
avant une certaine saisonnalité : le troisième trimestre est celui avec
le moins de défaillances enregistrées, de par la vacation judiciaire en août,
et le deuxième est aussi assez réduit avec les ponts de mai.
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